Qu'est-ce qu'on devient après ça ?

J'ai ma journée de libre. Je vais aller profiter de la salle de musique, étant donné que la plupart des gens sont en vacances. Pas mal d'élèves ont quitté l'université pour deux mois. Ceux qui restent sont ceux qui veulent profiter du festival. Enfin, tout ça pour dire qu'il devrait n'y avoir personne pour m'enquiquiner en cette belle journée d'été. Pour une fois qu'il fait chaud ici, je vous jure. Ça change du climat australien.

Pourtant, je ne me sens pas à l'aise. Bien que les couloirs soient à moitié vides par rapport à d'habitude, j'ai la désagréable sensation que tous les regards sont tournés vers moi. Oh arrête ton cirque un peu, genre t'es le centre du monde, bah oui. C'est pas ce que je dis, toi arrête. Tiens, les meufs là-bas, là. Elles me dévisagent et me reluquent de haut en bas, elles ne rient pas de moi, peut-être ? Leurs messes basses ne sont pas par rapport à moi, tu penses ? Tu psychotes. T'es ridicule.

- Qu'est-ce qui vous fait rire ? Vous vous moquez de Fauve ? je lance agressivement.
- Ah c'est pas des conneries ! dit la première à sa copine, ouvrant de grands yeux.
- Elle a toujours raison, cette mademoiselle S apparemment. Viens, on traîne pas, on sait pas si c'est contagieux !

Les revoilà parties à rire. Elle s'éloignent, toujours en me dévisageant, moqueuse. J'ai peur de comprendre. S. Donc la Dame du Tableau. Mon dieu, Ella, qu'est-ce que tu as fait ? ... Eh, t'es là ? Evidemment que je suis là, pauvre tâche. Et comment ça, ce que j'ai fait ? Je te rappelle que je vis dans ta tête ou je te fais un dessin ? Le tableau, le tableau. Il y en a plusieurs. Merde, merde, merde, faut que j'en trouve un. Là ! Sous un préau.

C'est pas franchement mon genre de paniquer pour ce que les gens racontent sur moi mais là, j'ai peur. J'ai un secret à protéger, une réputation à entretenir. Ah t'es populaire, toi, maintenant ? Non. Mais j'tiens pas à le devenir pour une sale raison. J'avance d'un pas ferme vers l'un des tableaux d'affichage de l'université. A celui-ci, les anciennes nouvelles de la part de S. Sous mes yeux, les potins du jour. Mon nom doit bien figurer quelque part. Ah, le voici. Un long frisson parcourt mon dos. Je ne lis même pas ce torchon en temps normal.

"Il semble y avoir de nombreux cas particuliers, ici à Enamor. Des personnes auraient retrouvé de la paperasse, perdue dans un bureau d'administration d'Enamor, témoignant l'encadrement de Fauve E. Walker dans un asile. Cette psychopathe aurait apparemment commis une fugue de son habitat respectif.. On vous conseille de pas trop la fréquenter, cette folle dingue."

Qu'est-ce que c'est que cette connerie ? Quels papiers ? Je serre les dents. Trois-quatre personnes se trouvaient là, tous la mine moqueuse. J'arrache ce bout de papier et le froisse rageusement. Mes poings tremblaient sous la colère. J'aurais envie de tuer quelqu'un. Vas-y, te gêne pas, ils auront une bonne raison de t'interner après. Quelques rires s'élèvent.

- LA FERME !

Bon sang, c'est pas possible. Comment je vais faire pour qu'on m'oublie maintenant ? Je comptais profiter des vacances pour rencontrer ceux qui restaient là. T'as des relations toi maintenant. J'aimerais Ella, bien sûr que j'aimerais. Je peux pas passer ma vie avec Lara, elle a d'autres amis, elle. Et si même ma meilleure amie me laissait tomber, après ça ?

Je reste plantée là, devant le tableau, le papier froissé dans mon poing serré.

Je passe le dos de ma main sur ma joue et me recule pour observer la toile. Mouais. C'est pas ce que j'ai le mieux réussi, mais c'est pas trop mal non plus. J'trouve que le parc d'Enamor est juste superbe. Y a un endroit presque totalement ombragé, où on peut voir les rayons du soleil percer le feuillage et c'est juste magnifique. J'l'ai déjà pris en photo, mais y avait jamais le même effet, j'ai jamais réussi à faire ce que j'en voulais. La nature est la pire des divas. J'trouve qu'en peignant, tu vois mieux ce que tu veux montrer. Mais ce n'est que mon humble avis. Dans tous les cas, j'ai soif. Faut que j'aille boire. Parce que comme une conne, j'ai totalement oublié de ramener une bouteille. La cata.

Je repose tout ce que j'ai dans les mains sur le banc qui me sert de table avant d'essuyer mes mains sur le vieux tee-shirt de Logan que je porte. Ouais j'allais pas essuyer mes mains sur un de mes nouveaux tee-shirts, au prix où ils sont. J'dois avoir l'allure d'une de ses nanas qui dorment pas et qui peignent toutes la nuit. Sauf que moi je dors, et j'm'occupe de ma peau. J'suis juste barbouillée de peinture. J'ai les mains vachement colorées, le haut c'est la même, doit y avoir deux trois taches sur mon short, et j'en ai peut-être une ou deux sur les joues, vu que mes cheveux, même attachés, me font particulièrement chier aujourd'hui. Bad hair day. Qu'est-ce que j'y peux. Je traverse le parc, m'approche du préau et.

"LA FERME !" Woh. Y a de l'animation dans ce pays aujourd'hui. Pourtant y a pas beaucoup de monde. Les cours, les exams sont terminés, on est juste là pour attendre le FEQ, et encore, la plupart sort en ville se boire un verre, faire du shopping ou se balader. Je passe sous le préau et atterrit derrière une nana, qui a l'air complètement dingue, genre tendue et énervée, et j'pense bien que c'est elle qui vient de hurler. Elle a les poings serrés, et je remarque qu'il manque une feuille au panneau d'affichage.

- Dame S a encore fait des siennes ? Laisse-moi deviner, t'es une pute ? Une camée ? Tu fricotes avec les professeurs, tu triches aux exams ? Ou alors t'es échappée d'un hôpital psychiatrique ? Elle en raconte tellement, de trucs.

Je m'approche un peu, les mains sur les hanches, essayant de lire ce qu'il reste sur le tableau. Des fois c'est divertissant, surtout quand on apprend que le vice-président Garnet a frappé l'un des siens, qui avait essayé de frapper la présidente. Y a que les rouges pour se foutre dans des merdes pareilles j'pense bien.

"Dame S a encore fait des siennes ? Laisse-moi deviner, t'es une pute ? Une camée ? Tu fricotes avec les professeurs, tu triches aux exams ? Ou alors t'es échappée d'un hôpital psychiatrique ? Elle en raconte tellement, de trucs."

Je sursaute. Une fille venait d'arriver au panneau, sûrement attirée par l'agitation que j'avais provoqué malgré moi. Sa tenue, quelque peu atypique, attire mon regard. Elle portait un t-shirt quelconque, trop large d'épaules pour que ce soit celui d'une fille et un short. Rien d'extraordinaire jusque-là. Mais elle était tâchée de partout, barbouillée par ce qu'il semblait être de la peinture. J'espère qu'elle est au courant. T'es conne ou quoi ? Si elle est tâchée comme ça, c'est qu'elle doit peindre, et dans ce cas-là, elle le sait. Roh ça va. On sait jamais. N'empêche que ça lui donne un air absolument pas sérieux. Et qu'est-ce qu'elle est grande. Non, tu es petite.

J'étais un peu en phase d'admiration. Elle était complètement détachée, sans mauvais jeux de mots, de ce panneau. Elle n'avait pas l'air de s'y fier, ni même de s'y intéresser, contrairement aux trois quarts des élèves. Elle semblait vivre dans son monde, celui de l'art, ne prêtant pas plus attention que ça aux autres. C'est décidé, je l'aime bien. Tu la connais même pas !

La fille s'approche un peu du panneau, histoire d'y lire quelques trucs. Boh, faut avouer que quand ton nom n'est écrit nul part, c'est plutôt sympa. Je me rappelle vivement que cette fois-ci, ce n'était pas marrant du tout.

« Hôpital psychiatrique. » je marmonne en lançant un regard empli de haine aux mecs qui riaient tout à l'heure. Mais est-ce que je devais vraiment m'inquiéter de ça ? La peintre avait énuméré quelques "accusations" comme si celles-ci étaient courantes. Comme si ce n'était pas la première fois. Les seules choses qui changeaient, c'était les victimes. Mais on est cons, à notre âge. On classe les gens dans des cases sur des rumeurs et on ne leur parle pas, on les évite. Et quand on se demande pourquoi, on ne sait plus. Est-ce qu'on va s'ouvrir à ce genre de personnes pour autant ? Non.

Ma vie dans cette université est foutue.

« Hôpital psychiatrique. » marmonne la brunette. La pauvre. J'sais pas si Madame S se rend compte qu'en dévoilant des trucs comme ça elle peut briser la vie de quelqu'un. J'veux dire, c'est carrément dingue quand même. J'pense que c'est son but, nous détruire un par un. ça doit lui apporter une certaine satisfaction de nous voir plonger, déprimer, et pour les plus atteints. Enfin vous voyez. C'est juste une grosse psychopathe, en fait. C'est elle qui sort d'un hôpital psychiatrique, en fait. J'suis sûre que tout ce qu'elle nous colle sur le dos, c'est ses soucis à elle. C'est elle qui se fait les profs, qui vend son corps, et qui sort d'un hôpital sans autorisation

- Tu veux savoir ce que j'en pense ? Que c'est elle, la pauvre fille échappée d'un asile. Y a aucune personne saine d'esprit qui pourrait faire des trucs pareils, c'est pas possible.

Mon regard s'arrête sur l'une des news de S "La populaire Obsidian, Aria S. Levis semble s'être fameusement isolée après sa rupture avec Adam H. Foster. En effet, les apparitions de cette étrange fille sont de plus en plus rares, et quand on la voit, c'est comme si elle venait d'avoir la gastro. Un peu trop sensible, Aria, vous trouvez pas ?". Aria. Je l'ai rencontrée un soir, à la salle d'arts, en pleine nuit. Il devait être deux heures du mat, quelque chose comme ça. J'étais pas bien, je buvais comme un trou, et elle aussi. Justement, elle était anéantie par la fameuse nouvelle, comme quoi elle aurait trompé son mec avec son frère. Je l'avais bien aimée. En même on était toutes les deux moitiés bourrées, on se racontait notre vie, on était calée, au clair de lune, et y avait rien pour nous faire chier que nos pensées qui commençaient à s'estomper. J'aimerais bien la revoir, elle est cool. Mais le fait qu'ils disent qu'elle a 'disparu' m'inquiète. Bah, pourquoi j'lui ai pas demander son numéro. Quelle conne.

- T'sais, j'pense que cette pauvre S n'a rien d'autre à foutre que nous faire chier. Elle a dû se faire lyncher un jour et depuis elle trouve rien de plus drôle que de nous emmerder.

Je passe une main sur ma joue, essayant d'effacer une trace de peinture, j'dois être effrayante dans cette tenue hu. Sauf qu'elle a séché, et du coup j'suis limite en train de gratter pour la retirer. Hm, pas pratique. Faut que je trouve de l'eau, en plus j'ai hyper soif.

- Désolée si j'suis pas présentable, je fais en essayant de gratter pour retirer ce que j'ai sur la joue.