Alors bonsoir à tous ~

Ici se déroule la soirée d'intégration pour les trois surprises. QUE TOUT LE MONDE SE FASSE PLAIZ.

Enfin tout le monde.

Nous trois quoi.
MAIS C'EST BIEN ASSEZ

« Ça te dérange pas Juju ? » Je n’ai pas le temps de répondre qu’elle s’éloigne déjà. Je reste plantée les mains dans les poches à l’entrée, la regardant s’enfoncer dans la foule. Eh bien nous voilà bien avancés. Je suis bousculée par des gens qui arrivent derrière moi, pas étonnant je reste dans le passage. Je me décale sur le côté, sachant pas vraiment quoi faire dans l’immédiat, jusqu’à ce que mon téléphone vibre dans ma poche, et je ne l’ai pas déverrouillé que je sais déjà qui c’est. Je prends quand même le temps de regarder la natif Snapchat et d’ouvrir ce qu’on m’envoie. Je réagis quatre secondes trop tard quand le son de la vidéo explose, oh non putain j’ai le son à fond. Je panique, abaissant le son à son minimum, je n’ai réussi qu’à attirer l’attention de quelques personnes - faut dire qu’y a du bruit. Les plus proches me dévisagent avec un air moqueur. Je me retourne, histoire de ne plus les voir m’observer. Ah, au fait, la vidéo c’est ma mère, en boîte. Ouais, ma mère passe apparemment une meilleure soirée que la mienne pour le moment.

« Viens Juju, on va bien s’amuser, je vais te présenter à plein de gens, tu vas te faire plein d’amis. » Plein d’amis dans une université de faux-culs, c’est pas ce qui m’enchante le plus, mais Kelsey a ce genre d’aura solaire contagieuse, alors je l’ai suivie comme un toutou. Kelsey, le cliché de la meuf bonne et populaire, trop intelligente alors qu’elle est blonde, cheerleader que tout le monde veut se taper, et que le reste jalouse. On habitait dans le même quartier, on est allées dans la même école jusqu’à la première année de lycée, que j’ai redoublé, puis j’ai changé d’école pour ma dernière année que j’ai, attention spoiler, encore redoublé. Quand elle a su que j’arrivais dans la même université, elle m’a pratiquement sauté dessus sur messenger. Au moins je connais au moins une personne dans tout ce monde, reste à savoir où elle est maintenant. Pas la plus simple des affaires, si vous voulez mon avis.

Cette fois-ci c’est pas une notification snapchat qui fait trembler mon téléphone, mais un message, de la même personne. Une photo, à vrai dire, un selfie de ma mère et d’un inconnu. Un de mes beau-pères d’une nuit on dirait « amuse-toi bien mija » accompagné d’un emoji bisou coeur. De mieux en mieux. « Merci maman, sois prudente » je réponds rapidement avant de ranger mon portable dans la poche de ma veste. Oublions ma mère, essayons de retrouver Kelsey et tous les gens qu’elle devait me présenter, si elle a pas oublié. Je commence à longer la pièce, avant de me faire aborder par un mec qui aurait très bien pu sortir d’Alerte à Malibu. « T’as l’air un peu perdue toi, tiens, prends un verre » je crois l’entendre dire par dessus les rires qui s’élèvent au même moment. Je baisse les yeux vers ce qu’il me tend, puis sur sa tête de mec un peu trop bronzé. Merci mais non ça va, je lâche avec un sourire qui se veut sympathique. « Allez » il insiste alors que je vais pour le dépasser. Je prends une inspiration, attrape le verre qu’il me tend, le contourne, pour reposer le gobelet sur le meuble derrière lui. Kelsey sérieux, où t’es ? J’aurais bien pu demander à ce mec s’il m’avait pas chauffé les oreilles en deux phrases. Tout le monde doit connaître Kelsey ici, j’en suis sûre. Ou pas. Ne nous décourageons pas. « T’es sérieuse la rouquine ? » j’entends derrière moi, « t’avais qu’à me le dire si tu voulais pas de mon verre. » Je lui jette un regard désabusé, alors que la queue de cheval blonde de Kelsey apparaît alors sous mes yeux. Le soulagement. « Oh Juju t’as rencontré Ken ! » Elle connaît ce mec. Ce mec qui s’appelle Ken ? Je pouffe trop bruyamment. Je vais me chercher un verre, je reviens, je lance en jetant un regard à ce surfeur en plastique. « On bouge pas Juju ! J’ai plein de gens à te présenter ! » m’annonce joyeusement Kelsey. Le soulagement fut de courte durée finalement. Si tous les potes de Kels sont comme Ken - j’en ris encore - ça risque d’être compliqué.

C'est peut être le début de quelque chose de nouveau, comme dirait Troy Bolton. Après trois ans d'études de droit à Toronto, j'ai fini par atterrir ici, à Montréal, dans ma chère ville de naissance. C'est mieux comme ça. J'avais besoin de m'éloigner de l'environnement toxique qui régnait dans mon ancienne école, et ce nouveau départ est probablement la meilleure chose qui pouvait m'arriver. C'est donc l'air de rien, frais comme un gardon et prêt à repartir sur de bonnes bases que je m'enfonce dans la foule déjà présente à la soirée d'inté. La musique en fond sonore est pas dégueu, et les différents cocktails proposés sont de bonne facture. Autour de moi, des groupes discutent entre eux et des affinités semblent naître. Pour l'instant, j'ai un peu de mal à trouver ma place. Mais c'est normal, c'est pas tous les jours qu'on est le petit nouveau et qu'on doit tout recommencer à zéro. Au moins, pour l'instant, je ne reconnais personne, ce qui est plutôt bon signe.
Je chope un verre et reste un moment au bar, scrutant les alentours. J'ai pas envie d'entrer dans un groupe déjà formé, j'ai pas envie que les gens pensent que je gratte l'amitié ou quoi. Alors en attendant, j'essaie de voir si y a des gens seuls et si ces gens là sont approchables. Mais, finalement, je vois une belle jeune femme à la crinière flamboyante qui sort d'un groupe et qui s'approche du bar. Ah ouais, je l'avais repéré, ce groupe là. Ils sont bruyants depuis une bonne demi heure, surtout le gars qui se prend pour un surfeur californien alors que, bon, on est à Montréal quoi. C'est pas la bonne destination cousin. Du coup, sans trop réfléchir, dès que la rousse est à portée de voix, je me permets de commenter. Il a pas froid avec son marcel, ton pote là ?, je fais alors en pouffant. Ah bah bien joué, balancer une vanne à quelqu'un que tu connais pas sur un de ses potes que tu connais pas plus, rien de tel pour faire une bonne impression et commencer l'année comme il se doit. Ouais mais c'était vraiment trop tentant.

Vous voyez le groupe de gamins populaires au lycée ? Les élites de la cour de récré ? J’étais dans ceux-là, juste parce que je connaissais Kels depuis que je sais marcher. J’étais toujours celle dans le fond, qu’on oublie un peu, ne sachant pas trop ce qu’elle fout là, parce qu’elle ressemble pas à la majorité de ces ados pédants qui se baladent en Ralph Lauren. Et ils ne se gênaient pas pour me le rappeler. Ils me toléraient juste parce que Kelsey était là, et ils allaient de leurs petites remarques dès qu’ils le pouvaient. « Alors Poil de Carotte, ta mère a fait quel prof ce trimestre ? » Tout ça parce qu’elle s’était tapée mon prof de maths de l’époque. Je l’avais eu mauvaise, je vais pas le cacher, j’avais honte. Puis je me suis rendue compte que ça valait pas la peine de prendre le temps de leur répondre, je leur ai dit d’aller se faire foutre. Et ça me réussit plutôt bien.

Kelsey m’adresse un grand sourire alors que je m’éloigne, et Ken se renfrogne, passant une main dans ses cheveux trop brillants pour être vrais. Je secoue la tête, amusée, brave Ken. Je replonge mes mains dans mes poches, m’éloignant vers le bar. Alors que je m’approche, on s’adresse à moi « Il a pas froid avec son marcel, ton pote là ? » me demande un mec en pouffant, et je ne retiens pas mon sourire moqueur en me retournant brièvement pour regarder à nouveau notre sosie officiel d’Hasselhoff. Je pense qu’il est victime d’une espèce de complexe d’infériorité lié à son prénom, du coup il est obligé de montrer ses muscles pour se sentir en confiance, j’explique avec un haussement d’épaules une fois à côté du mec. Et c’est pas vraiment mon pote, c’est plutôt celui de mon amie, la blonde élancée avec la queue de cheval. Je suis nouvelle, c’est la seule personne que je connais ici, je raconte en chopant un verre, que je renifle plus ou moins discrètement. Ça va, ça a pas l’air trop fort. Et toi, tu viens d’arriver aussi ou t’es un ancien ? Je m’adosse au bar et prends le temps de regarder vraiment mon interlocuteur. Je sais pas si c’est la barbiche mais il m’a l’air plus vieux que moi déjà, et il a la coupe de cheveux parfaite selon les critères de Kelsey, tu sais, ce côte coiffé décoiffé tout en style, comme s’il venait de se lever mais en fait c’est très travaillé, tout un art Ju.

La fatigue est présente. Ça fait quelques jours que les bras de Morphée sont probablement occupés ailleurs et que j'enchaîne les insomnies. Pas très pratique quand, perfectionniste dans l'âme, on a besoin de toute sa tête pour réussir ses études avec brio. Avec un peu de chance, mon cerveau va finir par comprendre que trois ou quatre heures de sommeil par nuit, c'est pas suffisant, et qu'il me laissera un peu plus de répit quand les cours auront commencé pour de bon. En attendant, malgré les petits cernes et les yeux quelque peu éclatés, je tâche de faire bonne figure. C'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de rencontrer des gens en dehors de sa filière. Et puis bon, qu'on se le dise, j'adore les études de droit, mais je déteste tous ces connards de carriéristes autour. Sûrement parce que j'en suis un moi-même, dans le fond, et que j'aime pas trop la concurrence. Alors ce soir il faut que je garde ma motivation pour me faire des potes qui ont autre chose dans le crâne que de monter les échelons un à un. Et même si je la connais absolument pas encore, j'ai comme l'impression que la rouquine en face de moi n'est pas du genre à viser un poste de PDG. C'est rassurant.
"Je pense qu’il est victime d’une espèce de complexe d’infériorité lié à son prénom, du coup il est obligé de montrer ses muscles pour se sentir en confiance". Je vois le genre. Le mec en études de sport qui passe plus de temps à se regarder dans un miroir qu'à réviser ses cours d'anatomie. Mais attends, complexe d'infériorité lié à son prénom ? Ah merde il a un prénom pourri ? Il s'appelle comment ?, je demande, sentant le bon Jean-Dylan arriver. Par contre si elle dit qu'il s'appelle Félix, j'aurai bien le seum. "Et c’est pas vraiment mon pote, c’est plutôt celui de mon amie, la blonde élancée avec la queue de cheval. Je suis nouvelle, c’est la seule personne que je connais ici." Ah c'est cool, on est dans la même situation. Enfin, on est juste nouveaux tous les deux. Elle au moins, elle a une pote. Mais bon, vu la gueule des potes de sa pote, je me dis que ma situation est peut être préférable. Mieux vaut être seul que mal accompagné, comme on dit. "Et toi, tu viens d’arriver aussi ou t’es un ancien ?" finit-elle par me demander après avoir chopé un verre. Ouais je viens d'arriver, mais j'ai fait trois ans de droit ailleurs donc j'enchaîne sur une quatrième année ici, je réponds en regardant droit devant moi, à la recherche d'une tête connue. Mais toujours rien. Par contre moi j'ai pas de potes, j'ajoute donc en riant, baissant finalement les yeux vers la nouvelle. Et toi du coup, tu viens faire quoi ici ? Bienvenue à nous deux, d'ailleurs, je termine tout en levant mon verre, attendant qu'elle en fasse de même pour trinquer à cette rentrée.

« Ah merde il a un prénom pourri ? Il s'appelle comment ? » me demande alors le ma nouvelle rencontre. Je crois qu’il ne s’attend pas à la réponse que je vais lui donner le pauvre. Faut dire que c’est presque un miracle du rire que de trouver un faux surfeur du nom de Ken, je lâche en pouffant, et c’est même pas une blague. Je sais pas à quoi pensaient ses parents, mais ils ont pas fait d’effort. Enfin, n’oublions pas qu’un jour, j’ai rencontré une chèvre qui s’appelait Julia. J’ai jamais trop su quoi en penser. Est-ce que c’est cool ou c’est vexant ? Je crois que ça dépend des gens.

« Ouais je viens d'arriver, mais j'ai fait trois ans de droit ailleurs donc j'enchaîne sur une quatrième année ici. » Ah oui, le damoiseau est une tête, très certainement. Futur juriste, avocat ? Ma connaissance du milieu est relativement réduite. Le seul avocat dont j’ai jamais entendu le nom est celui du divorce de ma mère et de mon beau-père. John quelque chose. Je failli l’apercevoir à poil avant de partir au lycée un matin. Environ deux semaines après la signature des papiers. Je pense que j’ai pas besoin de donner plus de détails concernant notre rencontre. J’vais peut-être te garder sous le coude, on sait jamais, si Ken venait à disparaître, je plaisante. Je suis plutôt quelqu’un de pacifique, j’ai jamais frappé qui que ce soit, croyez-le ou non. « Par contre moi j'ai pas de potes », il rit, je pouffe à mon tour. Au moins on ne te présentera pas à Ken. Parce que, perso, savoir qu’il s’appelle Ken me suffit amplement, le reste j’en ai pas grand chose à faire si je dois être honnête. Il m’a soûlée en deux phrases et demi, je pense que notre relation a été tuée dans l’oeuf. Et c’est pas plus mal. « Et toi du coup, tu viens faire quoi ici ? Bienvenue à nous deux, d’ailleurs » il fait en levant son verre, et je l’imite. Histoire de l’art, j’ai eu un prof vraiment super intéressé et intéressant pendant deux ans, ça m’a donné envie, on verra bien si ça me correspond vraiment. Non, j’ai jamais été une grosse stressée quant au déroulement de ma vie et à son futur, je prends les choses comme elles viennent. Si ça marche tant mieux, si ça marche pas, tant pis. Ah, et au fait, je m’appelle Julia. Si jamais tu décides de me donner un surnom, sait-on jamais, j’ai déjà Juju, Ju, ou JJ, comme Julia Jones, tu peux évidemment en trouver un à ta convenance, tu fais comme tu le sens, je dis en prenant une première gorgée. Et toi ? je demande alors que je sens à nouveau mon portable dans ma poche. Maman c’est pas le moment pour m’envoyer une vidéo de toi qui gueule par-dessus la chanson que le dj passe.

"Ken" qu'elle me dit, "et c’est même pas une blague. Je sais pas à quoi pensaient ses parents, mais ils ont pas fait d’effort." J'écarquille les yeux et me mords la lèvre inférieure pour éviter de rire, ne sachant pas trop quoi faire de cette information. Quel parent responsable appelle son fils Ken quoi. Ah ouais c'est chaud, je lâche simplement. Ken, je répète en chuchotant. Ça donne encore plus envie de le connaitre tiens.
Quand elle me dit qu'elle compte me "garder sous le coude, on sait jamais, si Ken venait à disparaître", je lève les sourcils pour exprimer ma surprise, puis je ris à mon tour. Je pourrai te couvrir t'inquiète, doit bien y avoir une loi canadienne qui autorise la purge des gens qui s'appellent Ken. Ça m'étonne déjà qu'il y ait pas une loi qui interdise le port de ce prénom. Et quand je lui dis que j'ai pas de potes ici, elle me rassure en me disant qu'au moins on me fera pas rencontrer l'autre énergumène avec son algue blonde platine. Je hausse les épaules et hoche la tête pour acquiescer. C'est déjà ça. Je sais que je vais sûrement croiser de sacrés cas malgré tout cette année, et peut être même que ce fameux Ken va devenir la nouvelle tête d'affiche à Moonstone et qu'on va en entendre parler à longueur de temps, mais au moins on ne me forcera pas à être pote avec lui, et c'est tout ce que je demande.
"Histoire de l’art, j’ai eu un prof vraiment super intéressé et intéressant pendant deux ans, ça m’a donné envie, on verra bien si ça me correspond vraiment." C'est tellement cool, ce genre de profs, qui te partagent leur passion et te montrent la voie, en quelque sorte. J'ai eu un prof comme ça à Toronto, le genre à t'amener dans des tribunaux à la HTGAWM, rien que pour lui j'aurais adoré rester là-bas. Malheureusement, c'était soit y rester et me ruiner la santé, soit quitter ce prof et repartir sur de bonnes bases. On continue de se contacter de temps en temps malgré tout, c'est déjà ça. Mais du coup, à la réponse de la rouquine, j'émets un soupir de soulagement plus ou moins discret. J'avais pas tort en pensant qu'elle comptait pas devenir la nouvelle Jeff Bezos. Ça a l'air d'être une fille chill, ça fait du bien à voir. J'ai jamais eu l'occasion de m'intéresser à l'art, mais ça donne pas mal envie mine de rien, je fais, l'air pensif. Comprendre le behind the scenes des tableaux, la vie cachée de Léo de Vinci, tout ça, c'est tellement de connaissances fascinantes que j'aurai jamais. Rien que d'y penser, la frustration monte.
"Ah, et au fait, je m’appelle Julia. Si jamais tu décides de me donner un surnom, sait-on jamais, j’ai déjà Juju, Ju, ou JJ, comme Julia Jones, tu peux évidemment en trouver un à ta convenance, tu fais comme tu le sens." Julia, c'est un chouette prénom. Je plisse les yeux et fronce les sourcils, me concentrant à fond pendant une seconde ou deux. Ça te va si je t'appelle Jones ?, je finis par demander. Apparemment ça a pas encore été utilisé, et j'aime bien innover. Moi c'est Félix, Félix St Pierre même, et faut croire que mon entourage est pas très surnoms donc t'as carte blanche à ce niveau, je réponds quand elle me demande comment je m'appelle. Tu sais dans quelle maison tu seras au fait, toi ?, je demande au passage, avant de boire une gorgée de mon verre.

Je crois qu’il en revient pas, du nom de notre surfeur. Y avait certainement une chance sur un million de tomber sur un sosie de Ken qui s’appelle Ken, et on l’a trouvé. Je parlais de miracle tout à l’heure, et c’en est certainement un. Pas celui auquel on s’attend quand on parle de miracle, mais quand même. « Je pourrai te couvrir t'inquiète, doit bien y avoir une loi canadienne qui autorise la purge des gens qui s'appellent Ken. » J’espère, comme celles qui s’appellent Barbie. Ça devrait juste pas exister. Et si y en a pas faut en faire une, enfin une qui interdit de nommer ses enfants comme ça, parce que ça devrait vraiment pas être permis, je fais en jetant un coup d’oeil à notre ami Ken.

«  J'ai jamais eu l'occasion de m'intéresser à l'art, mais ça donne pas mal envie mine de rien. »  Je dois avouer que je m’y serais pas vraiment intéressée non plus, sans mon prof. Je pensais pas que ça allait être aussi intéressant, juste des visages sur des tableaux par exemple. Et c’est vrai que si tu t’arrêtes à ça, c’est sympa à regarder à la limite, mais c’est tout. C’est tout ce qu’il y a autour qui titille la curiosité, le sujet, le message, l’analyse, la psychologie de l’artiste etc. J’ai jamais vraiment kiffé l’école, mais ce prof m’aura au moins fait aimé un cours. Et ça tombe bien puisque j’ai pu en tirer profit. Ouais, ça t’apprend à voir plus loin que le bout de ton nez, qu’y a pas qu’une seule vérité. Une oeuvre peut vouloir dire un tas de choses, tout dépend de la personne qui s’y intéresse, j’explique en m’accoudant au comptoir, me tournant vers lui. Et toi, pourquoi t’as choisi le droit ? T’es plus Superman des causes perdues ou avocat de banquier ?

« Ça te va si je t'appelle Jones ? » il me demande après que je me sois présentée. Monsieur coupe-de-cheveux-parfaite aime bien se démarquer on dirait. Ça me va, tant que personne ne m’appelle mon canard en sucre, je suis pas trop difficile, je fais avec un sourire. On m’a un jour appelée ‘mon chaton’, et c’est vraiment pas passé. J’ai jamais compris les surnoms niais que se donnent tous les gens quand ils sont en couple. Le romantisme me passe un peu au-dessus faut dire, c’est certainement pour ça. « Moi c'est Félix, Félix St Pierre même, et faut croire que mon entourage est pas très surnoms donc t'as carte blanche à ce niveau. » J’aime bien, Félix, c’est court, c’est concis. Et ça sonne très français. Oh, alors j’ai la lourde tâche de te trouver ton premier surnom. Déjà, sache que c’est un honneur, et que je vais faire de mon mieux pour te trouver le meilleur. Laisse-moi juste un peu de temps, je dis en commençant à faire fonctionner ma matière grise. Puis Félix me demande si je connais déjà ma maison. Alors absolument pas. Je pense pas être assez douée pour Moonstone, pas assez exhib pour Garnet, je suis pas assez dark pour être à Obsidian, donc je pense que je serai à Opal, je dis en haussant les épaules. C’est un peu les Poufsouffles d’ici, donc ça m’étonne pas. Oui, il paraît que je suis Poufsouffle. En même temps je trouve ça assez logique. Et puis on sait tous que Gryffondor et Serpentard se font la guerre comme Moonstone et Garnet, que Serdaigle même s’ils sont connus pour être des têtes, ils sont un peu sombres sur les bords, ce qui fait qu’ils sont Obsidian, et du coup les gentils et loyaux Opal sont finalement Poufsouffle. Logique eh. Et toi, tu sais ou t’as une petite idée ?

Ok, mon portable ne s’arrête visiblement pas, on doit m’appeler, ou alors on me harcèle. Je m’excuse auprès de Félix, et alors que je pensais que c’était ma mère, c’est une dizaine de messages de Kelsey, des ’t’es où ?’ ‘on sort, Chelsea organise une contre soirée, tous mes potes y sont, je pourrais te les faire rencontrer’ ‘Juju ?’ et un dernier ’t’es où ?’ je réponds rapidement un ‘aux toilettes, je vous rejoins’ pour qu’elle me foute la paix, avant de glisser mon portable dans ma poche. Ma pote veut me présenter à un troupeau de Ken, je suis pas prête à me faire ensevelir de cheveux trop blonds et d’UV, je préfère rester ici. Faut que je trouve un excuse imparable pour éviter qu’elle me harcèle à nouveau.

"Et si y en a pas faut en faire une, enfin une qui interdit de nommer ses enfants comme ça, parce que ça devrait vraiment pas être permis" elle ajoute au sujet de Ken, ce à quoi j'acquiesce longuement en silence. C'est clair, ça et les Clitorine, Sephora, Kiki et j'en passe, c'est vraiment pas responsable. Je sais pas à quoi pensent les parents quand il nomment leur gosse comme ça. Enfin je dis ça, mais ma soeur s'appelle Léocadie. Mes parents étaient inspirés eux aussi faut croire.
Quand elle me parle de l'histoire de l'art, ça me fascine. Ça me fascine, et puis ça me frustre. Alors je souris comme un con à l'écouter, je bois ses paroles, mais en même temps j'essaie de m'en détacher. Parce que sinon, je me connais, dès demain je vais aller dans la première librairie que je trouve pour acheter trois livres sur le sujet pour finalement ne jamais les lire, faute de temps, et ces livres là finiront par prendre la poussière dans un coin de mon appart. Franchement, si on reste en contact, ça sera avec plaisir que je te ferai réciter tes cours en vue des exams, je finis par lâcher avant de boire une nouvelle gorgée de mon verre. Ça serait le bon compromis à mon avis. Mais c'est comme pour tout, ça m'étonnerait qu'elle m'invite un jour à la BU pour bosser ses résumés. Si ça se trouve on restera même pas en contact après cette soirée, alors bon.
"Et toi, pourquoi t’as choisi le droit ? T’es plus Superman des causes perdues ou avocat de banquier ?" Elle croit pas si bien dire, en demandant ça. Je grimace un peu, fronçant le nez, le temps de réfléchir à ma réponse. Disons que j'ai un père qui n'est autre qu'un banquier véreux plutôt bien placé, et que ça m'étonnerait pas qu'un jour je l'aide à en découdre avec la justice. Mais si on peut éviter d'afficher sa famille dès le début, on va pas se gêner. Alors je prends un tout autre tournant pour répondre, histoire de pas passer pour un fils de chien dans l'immédiat. Disons que j'aime bien ouvrir ma grande gueule quand il faut, je commence en riant. Bien, on passe de fils de chien à chien tout court, bien joué Félix. Mais surtout dans l'idéal pour battre l'injustice, quoi. Après on choisit pas forcément qui on défend, et il m'arrivera probablement de devoir défendre des gros cons, mais bon. Je hausse les épaules. Y aura sûrement des hauts et des bas, mais c'est comme pour tout boulot au final.
"Ça me va, tant que personne ne m’appelle mon canard en sucre, je suis pas trop difficile", elle répond quand je lui propose de l'appeler Jones. Oh non t'inquiète c'était pas prévu, j'ai hésité avec poussin d'amour mais je me suis dit que c'était encore un peu tôt, je plaisante à mon tour. Après ça, elle part à la recherche d'un surnom à m'attribuer elle aussi. Bon courage Juju Jones. T'inquiète, je suis pas pressé, je fais avant d'avaler le fond de mon verre.
Quand je lui demande si elle sait dans quelle maison elle sera, elle finit par conclure qu'elle sera probablement à Opal, en ajoutant que "c'est un peu les Poufsouffles d’ici, donc ça m’étonne pas". Ouais je vois, Opal c'est un peu la Suisse de l'histoire en fait, je réponds en haussant les épaules moi aussi. Puis elle me retourne la question. Il parait que pour l'instant ça balance entre Moonstone et Garnet, ce qui est assez paradoxal, mais que ça pencherait plus pour Garnet aux dernières nouvelles, puis j'ajoute aussitôt pourtant je suis loin d'être exhib pour qu'elle n'aille pas s'imaginer des choses. Je suis même pas tant que ça un chaud lapin. Non, je pense juste que c'est mon côté chien soi-disant prêt à tout pour réussir qui a du plaire. Au final c'est un peu les Serpentards d'ici, donc ça m'étonne pas, je commente pour reprendre sa comparaison.
Jones finit par s'impatienter à force de sentir son téléphone vibrer puis, alors que je chope un nouveau verre histoire de ne pas avoir les mains vides, elle lâche : "Ma pote veut me présenter à un troupeau de Ken, je suis pas prête à me faire ensevelir de cheveux trop blonds et d’UV, je préfère rester ici. Faut que je trouve un excuse imparable pour éviter qu’elle me harcèle à nouveau." Aïe, coup dur pour la joueuse canadienne. Je grimace rien qu'à imaginer une soirée remplie de mèches blondes et d'autobronzant. Faudrait te trouver un alibi. Soit tu dis que t'as rencontré quelqu'un, je propose dans un premier temps, dirigeant le pouce de ma main libre vers ma tronche, soit tu dis que t'as mal digéré un truc et que t'es rentrée chez toi. Ou alors, tu lui dis juste que ses potes t'inspirent pas et que c'est vachement plus chouette de parler avec un futur avocat qui t'aidera à faire disparaître un corps si besoin.

« Franchement, si on reste en contact, ça sera avec plaisir que je te ferai réciter tes cours en vue des exams » Ouh, il ne sait pas à qui il dit ça. Je suis loin d’être une élève modèle, mes deux redoublements en sont la preuve. Bon, le premier était un peu compliqué on va dire, mais ma terminale, j’y ai juste pas mis du mien. Quand on a pas de facilités, faut bosser un minimum, mais moi j’en avais visiblement rien à foutre. Et c’est comme ça qu’on se retrouve à louper son exam. Comment louper son examen final au lycée, le guide complet par Julia Jones. Tu sais pas sur quel terrain tu t’engages, je risquerais de te prendre au mot, attention, je le préviens en buvant un coup.

« Disons que j'aime bien ouvrir ma grande gueule quand il faut. Mais surtout dans l'idéal pour battre l'injustice, quoi. Après on choisit pas forcément qui on défend, et il m'arrivera probablement de devoir défendre des gros cons, mais bon. » Ah ça, si y avait personne pour défendre les coupables, y aurait pas de procès. Et si y avait pas de coupables, y aurait pas besoin de la justice. De toute façon, on est tous coupable de quelque chose non ? Personne en ce bas monde ne ressemble à Mère Thérésa, et c’est ainsi. La perfection n’existe pas, c’est un fait. Enfin, les Moonstone et les Garnet clament haut et fort qu’ils le sont, et pourtant leurs critères pour y arriver sont bien différents, non ? La perfection c’est subjectif, comme l’art. D’après ma grande expérience d’avocate diplômée par Netflix, j’ai bien l’impression qu’on devient plus un grand avocat en défendant des coupables que des innocents, je dis en haussant les épaules. Les innocents c’est bon pour le peuple, les coupables ça te crédibilise auprès des congénères. Et puis tout le monde sait qu’il vaut mieux être un loup parmi les loups qu’une brebis. Ça peut sonner un peu pessimiste, mais je suis une réaliste, le monde est loin d’être coloré en blanc et noir, il est juste gris sombre, et c’est un fait.

« Oh non t'inquiète c'était pas prévu, j'ai hésité avec poussin d'amour mais je me suis dit que c'était encore un peu tôt. » Je pouffe, puis reprend un air plus sérieux. T’as raison, vaut mieux attendre un peu, je range le ‘mon sucre d’orge’ du coup, on verra ça plus tard, je dis avec un sourire en coin. « Ouais je vois, Opal c'est un peu la Suisse de l'histoire en fait » dit Félix. Ouais, c’est ça, et moi et les guerres pour qui est le plus beau, ça m’intéresse vraiment. C’est pas comme si je pouvais concourir à leur compétition d’élites. « Il parait que pour l'instant ça balance entre Moonstone et Garnet, ce qui est assez paradoxal, mais que ça pencherait plus pour Garnet aux dernières nouvelles, pourtant je suis loin d'être exhib. » Je pouffe, c’est bon à préciser ce genre de détails. Eh bien alors je pactise avec l’ennemi. D’après Kelsey, ma pote, vous aviez l’air beaucoup plus relou. Mais je crois que c’est le devoir de tout Moonstone de dénigrer les Garnet, je conclue alors en haussant les épaules. « Au final c'est un peu les Serpentards d'ici, donc ça m'étonne pas. » Félix est donc Serpentard, ça coule de source s’il est admis chez Garnet. C’est le premier Serpentard que je rencontre. Enfin en même temps je demande rarement leur maison HP aux gens avec qui je fais connaissance. Pas étonnant.

« Faudrait te trouver un alibi. Soit tu dis que t'as rencontré quelqu'un, soit tu dis que t'as mal digéré un truc et que t'es rentrée chez toi. Ou alors, tu lui dis juste que ses potes t'inspirent pas et que c'est vachement plus chouette de parler avec un futur avocat qui t'aidera à faire disparaître un corps si besoin. » Je me mords les lèvres, commençant à réfléchir à ces possibilités. Si elle me demande ton nom et qu’elle se rend compte que t’es chez Garnet, elle risque de faire la tête, je commence à énumérer sur mes doigts, la gastro c’est pas trop la classe mais en dernier recours c’est infaillible. Et je sais pas si lui raconter que ses potes blanc étincelants parfaits m’intéressent pas alors que je risque de les côtoyer trop souvent, c’est une super idée. Ils risquent déjà, pour la plupart, de me tolérer principalement parce que je suis la pote de Kels, je finis. Enfin, ça, je m’en fous un peu, on va pas se le cacher. Je voterais peut-être pour la gastro, et vous Maître Félix ? Votre avis pour sauver votre cliente d’une bande de gens trop parfaits ? je demande en me redressant.

"Tu sais pas sur quel terrain tu t’engages, je risquerais de te prendre au mot, attention", qu'elle dit. Ah mais c'est le but, qu'elle me prenne au mot. Je rigole même pas moi. Dans le doute, je hausse les épaules et lève les mains au histoire de me dédouaner de toute responsabilité.
"D’après ma grande expérience d’avocate diplômée par Netflix, j’ai bien l’impression qu’on devient plus un grand avocat en défendant des coupables que des innocents. Les innocents c’est bon pour le peuple, les coupables ça te crédibilise auprès des congénères. Et puis tout le monde sait qu’il vaut mieux être un loup parmi les loups qu’une brebis." Malheureusement, elle a pas tort. J'acquiesce en hochant la tête, le regard un peu dans le vide. C'est bien ça le problème, ouais. Pour le fame, vaut mieux montrer que tu sais en découdre et défendre l'indéfendable quoi. Enfin, je dis "malheureusement", "problème", etc, mais c'est bien ça qui me motive le plus dans le métier. Evidemment que c'est génial de servir la justice et défendre les victimes, mais y a tellement plus d'enjeu du côté du présumé coupable, plus de piment, et puis ouais, comme elle l'a dit, c'est en défendant les coupables qu'on gagne en crédibilité. Forcément, j'ai envie qu'un jour mon nom soit connu et reconnu, pas parce que c'est celui de mon banquier de père, mais parce que c'est aussi le mien, celui d'un futur avocat de renom. Et puis je me mets à rire vite fait, et me tourne à nouveau vers Julia. T'as l'air de bien t'y connaitre, Netflix doit être pas mal classée dans le top 10 des meilleures universités canadiennes, je commente histoire d'alléger un peu le sujet. Même si j'adore mon futur boulot, j'essaie d'en parler le moins possible maintenant. J'ai vraiment plus envie de lier amitié et "vie professionnelle", dans le sens où je préfère garder mes ambitions pour moi et parler de choses plus légères avec mon entourage, qu'il soit proche ou non.
A l'évocation de sa volonté de m'appeler "mon sucre d'orge", je ris à mon tour. Bon ça va, elle est pas du genre à s'offusquer pour une blague, c'est une bonne chose. J'avoue que j'étais pas serein sur celle ci, mais elle a pas gueulé au patriarcat donc c'est cool. Oui non, on n'est pas pressés avec les surnoms mielleux, j'ajoute donc. J'aime pas ça, de toute manière, les surnoms qui débordent d'amour gnangnan. Mon ex avait eu la bonne idée de m'appeler "mon chat", rapport à la marque de croquettes parce qu'on adore l'humour t'as vu ahah lol, et ça a été un de mes motifs de rupture en fin de compte. Enfin évidemment qu'il y avait pas que ça hein. Mais ça plus un autre truc plus encore un autre et quarante trois qui suivent derrière, ça commençait à faire beaucoup.
"Eh bien alors je pactise avec l’ennemi. D’après Kelsey, ma pote, vous aviez l’air beaucoup plus relou. Mais je crois que c’est le devoir de tout Moonstone de dénigrer les Garnet" dit Jones concernant la guéguerre entre les blancs et les rouges. A ses paroles, je lève les yeux au ciel. J'ai même pas encore été affilié à une maison en particulier que je vais déjà avoir des gens à dos, je commence à ironiser. Mais ouais, j'ai entendu parler des petites tensions traditionnelles entre les deux maisons. Perso ça m'étonnerait que je les suive à la lettre. Mais bon, après, s'ils sont tous comme ton pote Ken à Moonstone, j'aurai même pas besoin de me forcer à les détester faut croire, j'ajoute, sourire en coin. Ça pourrait aussi faciliter mon intégration en plus de ça, c'est pas très négligeable non plus.
Finalement, elle se met à énumérer les différentes options qui s'offrent à elle pour constituer son alibi. Après sa longue tirade, elle se redresse vers moi et finit par conclure : "Je voterais peut-être pour la gastro, et vous Maître Félix ? Votre avis pour sauver votre cliente d’une bande de gens trop parfaits ?" Alors, je me plonge dans une profonde - ou pas - réflexion. D'une part, évidemment, pour trouver l'option idéale, et d'autre part, pour sa remarque sur les potes de son amie. Ça me titille un peu. Mais déjà, pourquoi t'irais te forcer à trainer toute l'année avec des gens qui ne t'intéressent pas et qui vont soi-disant "à peine te tolérer" ? Dis-leur merde au pire, et deviens amie avec des gens qui t'intéressent plus que ça sinon, je lâche, les sourcils froncés. Yolo, pas le temps de le perdre avec des gens fades, quoi. Enfin, perso c'était mon quotidien jusqu'à cette année, d'être entouré de gens que j'appréciais moyen juste par intérêt. Mais justement, s'il y a bien une connerie que je refuse de refaire, c'est bien celle là. Je suppose que ça serait plus par défaut que par intérêt qu'elle resterait avec eux, mais dans les deux cas, il y a mieux comme idée. Et sinon je voterais aussi plutôt pour la gastro, c'est vrai que c'est une valeur sûre, je conclus quand même.

« C'est bien ça le problème, ouais. Pour le fame, vaut mieux montrer que tu sais en découdre et défendre l'indéfendable quoi. » Je m’y connais pas spécialement en avocat de renom, mais je suis persuadée que les plus connus sont ceux qui ont défendu des meurtriers, des violeurs, ou des hommes politiques. Rares sont les innocents dans ces différentes catégories. « T'as l'air de bien t'y connaitre, Netflix doit être pas mal classée dans le top 10 des meilleures universités canadiennes » il me dit ensuite pour plaisanter. Je pouffe. Le podium il me semble, je crois qu’ils ont aussi le plus grands nombres d’élèves, tous assidus, faut le faire quand même. Mais hormis Suits et le reste, je suis surtout réaliste, pas rêveuse pour un sou, et je sais que le monde c’est pas les bisounours. Plus tôt on le découvre, moins on risque d’être déçus. C’est pas juste, mais c’est la vie.

On est d’accord avec Félix, les surnoms qui débordent de niaiserie ça nous écoeure tous les deux. Les gens en font toujours trop. « J'ai même pas encore été affilié à une maison en particulier que je vais déjà avoir des gens à dos. Mais ouais, j'ai entendu parler des petites tensions traditionnelles entre les deux maisons. Perso ça m'étonnerait que je les suive à la lettre. Mais bon, après, s'ils sont tous comme ton pote Ken à Moonstone, j'aurai même pas besoin de me forcer à les détester faut croire. » Je suis même pas Garnet que j’aime pas Ken, donc je le comprends. Tu m’étonnes, je souffle en portant mon verre à mes lèvres. De toute façon, leurs combats de catch pour la place du plus populaire ça doit être plus divertissant vu de l’extérieur, et encore. Quand ils se battront, je prévoirai le popcorn et un siège pliable. Histoire que je sois confortablement installée.

« Mais déjà, pourquoi t'irais te forcer à trainer toute l'année avec des gens qui ne t'intéressent pas et qui vont soi-disant "à peine te tolérer" ? Dis-leur merde au pire, et deviens amie avec des gens qui t'intéressent plus que ça sinon. » Je me tends quelques secondes, me redressant, pour reposer mon coude sur le bar. Tout ce mouvement pour ne pas montrer que ça me fout mal à l’aise d’un coup, histoire de gagner un peu de temps. J’ai jamais eu du mal à aborder les gens, je suis quelqu’un de plutôt accessible, j’suis facile à vivre (je crois ?), en général les gens n’ont pas trop de mal, et moi non plus. Mais au bout d’un moment, pour devenir amis, faut commencer à raconter ta vie, au moins un peu, à être un peu plus ouvert, tout ça. Et ça, je suis pas fan. Kelsey est là depuis plus de 10 ans, elle m’a plus ou moins accompagnée dans ce qui a pu être compliqué pour moi, elle m’a jamais posé de questions, et si elle essayait, je faisais en sorte de pas y répondre. C’est ce qui m’a convenue, et je me plains pas, j’ai pas besoin d’être entourée pour me sentir bien. Et si jamais il m’arrive, on sait jamais, de raconter quelques bribes de ma courte existence, les gens commencent à me regarder différemment. Ils jugent ma mère, en premier lieu, vu que c’est certainement l’élément le plus exubérant de ma vie. Ça commence par des ‘oh, elle fait pas son âge’, et évidemment, on a 16 ans d’écart, et c’est pas ce à quoi s’attendent les gens. Puis une fois qu’ils en apprennent un peu plus sur elle, ils ont pas besoin d’ouvrir leur grande gueule pour que je sache ce qu’ils pensent d’elle, et ça finit par me regarder avec pitié. Après, ça devient un ‘mais il est où ton père ?’ et le fait est que j’en sais rien, ma mère m’a raconté qu’il était astronaute, champion de hockey, acteur, chef cuisinier, une histoire pour chaque jour où je lui posais la question quand j’étais enfant. Et honnêtement, je m’en soucie pas, ça m’est égal. Mais c’est juste la façon dont les gens finissent par me regarder. Puis ceux qui me connaissaient au lycée pourront ajouter à cette liste mon beau-père, et j’ai l’impression qu’ils me regardent comme un chiot à la fourrière. Alors que je suis pas malheureuse, mais dès lors, ils me collent une étiquette sur la gueule, un truc qui dit certainement ‘moitié orpheline, adoptée par son beau-père qui a fini par se casser à cause de sa salope de mère’. Je suis plus que ça non ? Ce sont même pas mes actions à moi. Si j’ai pas de potes, c’est juste que j’ai pas envie qu’ils me regardent avec pitié, si je m’apitoie pas sur mon sort, j’ai pas besoin que les autres le fassent pour moi. Alors je me fonds dans la masse des potes de Kels, qui me trouvent aussi intéressante que moi je les trouve intéressants. Ils me posent pas de questions, pas trop, et ça me suffit. On peut passer des moments cool, sans qu’y en ait un qui s’occupe de moi. C’est facile, voilà tout. T’as raison, je réponds alors à Félix, les yeux fixés sur mon verre un premier temps, je suis pas la meilleure des menteuses non plus, et le regarder dans les yeux maintenant ce serait peut-être pas une bonne idée. Puis je lui adresse un sourire, histoire que ça passe crème. « Et sinon je voterais aussi plutôt pour la gastro, c'est vrai que c'est une valeur sûre. » Personne ne résiste à la gastro. Allez, on part sur la gastro alors, je lance en attrapant mon portable pour rédiger le message. Maintenant faut juste pas que je la croise dans un couloir. Elle peut être un peu susceptible, mais ça devrait passer. Au fait, ton emménagement s’est bien passé ? Enfin, tu vis peut-être pas sur le campus. J’ai pas encore eu le temps de rencontrer ma coloc, j’espère qu’elle sera pas trop bordélique. Sinon je séparerai la chambre en deux avec un coup de craie sur le parquet, histoire qu’elle envahisse pas mon espace, je pouffe.