En toute honnêteté, j'me suis sûrement jamais endormie aussi vite. Souvent je reste éveillée quelques heures après m'être couchée. Même quand je suis pas mal fatiguée. C'est une mauvaise habitude que j'ai pris quand j'étais gamine. Quand on était à Las Vegas avec notre mère. J'me souviens encore, je préparais à manger, puis après le repas j'allais coucher Lara et Elena, Harmony discutait un peu, puis allait à son tour dormir. Je m'asseyais dans le fauteuil miteux du minuscule salon. Je remontais mes genoux contre moi, je posais le plaid sur mes jambes et je passais des heures à regarder dans le vide en attendant notre mère.

"AVA REGARDE ÇA C'EST TROP BEAU, AVA REGARDE, RÉVEILLE TOI, C'EST TROP BEAU" hurle la voix d'Ez tandis qu'il me secoue comme un prunier.

Je me relève lentement, frottant mes yeux, je m'assois en tailleur. Bah on m'a jamais réveillée aussi brutalement huhu. J'me souviens à peine de ce que j'ai rêvé tiens, juste de ma mère. A croire que j'ai bien dormi. Ça sert d'être rikiki, tu peux loger dans un coffre de bagnole hu. Une fois les yeux ouverts, je m'avance vers le coffre qu'Ezouille vient d'ouvrir, et là, là...

- Oh. Mon. Dieu. Oh. Mon. Dieu. Je, euh. C'est trop beau, je souffle avec ma voix de bonhomme du matin. AH C'EST TROP BEAU EZRA. Je frappe dans mes mains, avant d'attraper le bras d'Ezouille comme pour qu'il s'en rende compte alors qu'c'est déjà fait hu.

Je passe une main dans mes cheveux en bataille, et fixe les montagnes. Le soleil donne des putains de couleurs au paysage, c'est encore plus beau, plus magique que le coucher de soleil j'ai l'impression, alors imaginez. Ouais, c'est pas mal compliqué, j'vous l'accorde, mais essayez deux secondes. J'crois qu'on peut pas mieux se réveiller en fait. C'est carrément indescriptible. C'est mieux que le père Noël et Mickey, c'est mieux qu'un arc-en-ciel et Disney, c'est. Extraordinairement beau.

Ava, au réveil, est un homme. C'est certainement le fait le plus important que j'aurai appris ces derniers jours. Elle a la voix d'un vieux camionneur qui aurait fumé trois paquets de clopes par jour pendant trente-sept ans. Autant dire qu'il y a plus sexy. Sauf pour les amateurs du genre, huhu. Mais bon, je pense que je suis mal placé pour critiquer, sachant que je dois avoir une vieille barbe qui pique et qui n'est sans doute pas très clean, sans compter mes cheveux sûrement en pétard. Mais on vient de se réveiller, et je doute fort que nos regards soient portés l'un sur l'autre, puisque beaucoup trop rivés sur le paysage. "Oh. Mon. Dieu. Oh. Mon. Dieu. Je, euh. C'est trop beau," marmonne-t-elle, une fois à peu près correctement réveillée. "AH C'EST TROP BEAU EZRA," rajoute-t-elle ensuite, en frappant dans ses mains, avant de m'agripper le bras, visiblement prise par l'excitation. Ce que je peux comprendre, huhu. En effet, j'en fais de même, et secoue son bras en lui répondant : MAIS OUI C'EST MAGIQUE C'EST MÉGA BEAU.

Alors qu'Ava cherche à se recoiffer tout en admirant les montagnes, je lâche un soupir bref, éprouvé par tant de beauté. Puis, reprenant mon calme, je tente d'atteindre la banquette, sur laquelle est posée la thermos de thé. Parce que, avouons-le, même si tout ça c'est bien beau, ça ne fait pas pour autant oublier qu'on se les pèle. Eh Avouille, tu veux un peu de thé pour te réchauffer ? J'ouvre la bouteille et bois une petite gorgée. Mh, il fallait s'y attendre, ce n'est plus aussi chaud que de base, le tout est devenu quelque peu tiédasse. Mais ça fera l'affaire, c'est suffisant pour se réchauffer un minimum je pense. Bon, tu risqueras pas de te cramer la langue avec, mais il reste pas trop mal, je commente. Je retourne à ma place, bien au chaud sous le duvet, face aux montagnes, et tend la bouteille à mon amie.

Petit à petit, le soleil se lève, et le paysage devient majestueux. A chaque minute qui passe, j'ai l'impression que ce que j'ai devant moi ne pourrait pas être plus beau, et chaque minute qui suit me prouve le contraire. C'est juste dingue. Je garde un sourire de béatitude et des yeux qui pétillent. Je me tourne alors vers Ava, et lui demande, complice : Alors, pas trop déçue du voyage ?

"Eh Avouille, tu veux un peu de thé pour te réchauffer ?"

Je pivote pour pouvoir voir Ezra, qui vient de s'étendre pour attraper un thermos. Owi, quelque chose pour réchauffer un peu ma gorge. Parce que c'est pas qu'il fait un peu froid, que j'viens de me réveiller avec seulement quelques heures de sommeil, et que j'ai une voix de mec avec 150L de whisky à son actif mais un peu quoi. C'est un truc qui étonne pas mal les gens.  J'fais 1m61, j'ai une gueule de bisounours, j'ai les cheveux colorés, et au réveil j'ai une voix d'alcoolo qui fume des cigares. Assez étrange sachant que je bois rarement, et que je fume seulement quand j'suis stressée. J'sais pas trop comment ça se fait, alors me demandez pas le pourquoi du comment. Du coup j'espère qu'Ezouille a pas eu peur hu. T'façon en 5 minutes ma voix redevient normale.

"Bon tu risqueras pas de te cramer la langue avec, mais il reste pas trop mal" commente Ez après avoir avalé un peu de thé.

Il me tend le thermos et retourne se caler au chaud sous son duvet. J'attrape la bouteille avant de l'imiter, reculant jusqu'à m'appuyer contre les oreillers. Fait quand même moins froid que juste devant l'ouverture. Je bois ensuite une ou deux gorgées de thé et me racle la gorge histoire de réveiller correctement mes cordes vocales avant de parler de nouveau. On est jamais trop prudent hu.

- Merci Ezouuille. J't'ai pas trop fait peur j'espère ? J'sais que ma voix est un peu euh, bizarre au réveil hu, je fais en lui tendant de nouveau le thermos si jamais.

J'préfère m'en assurer ouais huhu. Enfin bon. Puis Ezra se tourne vers moi et me lance un "Pas trop déçue du voyage ?". Comment j'pourrais l'être, de toute façon ? C'est pas possible. C'est juste extra. On a un paysage de malade, on était quand même bien installés, j'ai l'impression d'être redevenue une gamine pour quelques heures. C'est vraiment extraordinaire. Le tout. Le paysage surtout.

- Tu rigoles, comment je pourrais ? C'est tellement magique. J'te remercie vraiment, vraiment beaucoup Ez, c'est. Ouais, t'es génial de m'avoir emmenée avec toi sérieux. Merci beaucoup beaucoup beaucoup. C'est mieux que Disneyland la nuit bordel !

Je lui renvoie un grand sourire, rentrant en même temps mes mains dans les manches de mon sweat avant de me tourner de nouveau vers le paysage qui ne cesse de bouger, d'évoluer à une allure folle. Et y a tellement pas de mots pour décrire ce qui se passe devant mes yeux à mesure que le soleil se lève. Je réussirais pas à m'exprimer. Alors je préfère me taire et regarder.

Ava me remercie en me rendant la thermos. "J't'ai pas trop fait peur j'espère ? J'sais que ma voix est un peu euh, bizarre au réveil hu" demande-t-elle pour se rassurer. Bah en fait, je m'y attendais pas vraiment, effectivement. Mais de là à dire qu'elle m'a fait peur.. Un peu, avouons-le. Ofh non t'inquiète, je mens. Je suis un dur, ce serait me décrédibiliser que de lui avouer que j'ai cru à un début d'invasion zombie.

"Tu rigoles, comment je pourrais ? C'est tellement magique. J'te remercie vraiment, vraiment beaucoup Ez, c'est. Ouais, t'es génial de m'avoir emmenée avec toi sérieux. Merci beaucoup beaucoup beaucoup. C'est mieux que Disneyland la nuit bordel !" Je souris, d'autant plus ravi de découvrir que je ne suis pas le seul à trouver ce moment mémorable. C'est vrai que c'est beau. Je ne saurais même pas dire combien de fois je me suis fait cette réflexion, en à peine quelques heures. C'est beau. C'est tout con à dire, mais je n'ai toujours pas trouvé d'autre mot pour qualifier le paysage. C'est juste beau. Pour toute réponse, j'avale en silence une gorgée de thé pas très bon, puis file me rouler une clope après avoir reposé la bouteille à côté de la petite Ava, emmitouflée dans son gros sweat et sous sa couette. Réflexe du réveil. Certains ont leur café, moi je préfère le tabac. Là, le contexte est un peu différent, mais d'habitude, j'ai carrément la tronche dans le pâté avant la première cigarette de la journée.

Mine de rien, le temps passe vraiment très vite quand on est face à un tel spectacle. Il est déjà près de huit heures du matin quand je regarde mon téléphone, et le soleil a quasiment fini de se lever. Après avoir écrasé mon dernier mégot, les yeux encore émerveillés par le ciel, je me retourne vers ma chère voisine aux cheveux bleus. Je pense qu'il va falloir qu'on rentre dans pas trop longtemps, j'annonce malheureusement à Avouille, les touristes vont pas tarder à débarquer, et y aura plus aucun charme quand ils seront là. Je serais bien resté encore quelques heures de plus, mais on n'a pas trop le choix. Et puis, pour me rassurer, je me dis que, plus tôt on sera rentrés, plus vite on pourra retourner se reposer bien au chaud dans nos lits. Parce que ce serait mentir que de dire que je suis en pleine forme après à peine quelques heures de mauvais sommeil dans un coffre de voiture au beau milieu d'un parc naturel.

A ces mots, je saute à l'extérieur de la Land Rover et plonge mes pieds dans la neige. Ah le con, c'est froid. Bah oui c'est froid, c'est de la neige. Autre point auquel je n'avais pas pensé : la neige arrive aux deux tiers des pneus de la voiture. Euh... On va avoir un petit problème, je constate. Je te laisse profiter du paysage un peu plus longtemps que prévu ! Heureusement, il me semble que j'ai une pelle sous le siège conducteur. Je la récupère et, après en avoir profité pour démarrer la voiture et le chauffage afin de dégivrer le pare-brise, je commence à creuser tout autour de la voiture, histoire de déneiger les pneus. Réflexe de pseudo Canadien : toujours avoir une pelle sur soi. Ça peut s'avérer efficace.

Bonne chose : je n'ai pas fait peur à Ezouille quand j'ai ouvert la bouche pour m'exprimer. Heureusement. J'pas l'habitude de parler au réveil, vous savez, donc j'avais jamais tenté l'expérience. Enfin bon, j'croise un drôle le matin, il me cause, j'lui réponds, j'suis quasiment sûre à 200% qu'il se tire en courant en m'entendant. Mais Ezra c'est un bonhomme, un faux canadien allemand qui vend des peaux d'ours. ... Non c'était une blague, mais tout ça pour dire que c'pas avec ma voix de mammouth en colère que j'vais l'effrayer.

Depuis que je suis réveillée, je ne cesse de bâiller. J'ai l'impression de me décrocher la mâchoire un peu plus à chaque fois. Enroulée dans mon duvet, je fixe presque sans m'arrêter le paysage, mes yeux s'en décrochant juste pour jeter quelques regards à Ezra et me perdre dans les volutes de fumée de sa clope. J'me laisse emporter par pas grand chose quand la fatigue s'empare de moi. Toujours est-il que je dois imprimer ce coucher de soleil dans ma mémoire pour le reste de mes jours, et plus tard, en l'an 2050, je raconterais à mes petits-enfants comment un de mes potes m'avait offert le souvenir le plus mémorable de mes années à l'université. J'me vois, toute flétrie, et ridée comme un vieux sharpei, sur mon rocking-chair, avec les cheveux multicolores, en train de conter mes aventures aux drôles. Mon dieu. Fou rire intérieur. Faudra oublier les NoMakeupMonday, sinon j'peux vous dire que ce sera pas beau à voir DU TOUT. Puhuhu.

"Je pense qu'il va falloir qu'on rentre dans pas trop longtemps les touristes vont pas tarder à débarquer, et y aura plus aucun charme quand ils seront là" annonce Ezouille après avoir écrasé la fin de sa clope, que je fixais depuis au moins cinq minutes.

Je fais la moue. J'ai pas envie de partir, mais il a raison. Quand tous les petits tingtongs vont arriver, ils vont soit nous demander de les prendre en photo devant le paysage, soit essayer de communiquer sauf que vu qu'on est pas chinois, on pigera que dalle. Et pis perso, quand j'entends un chinois parler, ça me file une d'envie de rire de putain. Une putain rit beaucoup, bien sûr. Non sérieux, j'sais pas si c'est nerveux ou quoi, mais j'y peux rien. Je me serre un peu plus dans le duvet, avant de suivre Ez à l'extérieur.

- Ah bâtard, ah bâtard, bâtard, bâtard, je fais en passant d'un pied sur l'autre, remontant le duvet au niveau de mes hanches pour être sûre qu'il s'étale pas dans la neige. C'est geléééééé, muf.

"Euh... On va avoir un petit problème" Je me tourne vers Ezra, et je percute pas tout de suite mais. Y a beaucoup de neige. "Je te laisse profiter du paysage un peu plus longtemps que prévu !"

J'observe tous ses gestes. Il démarre la voiture histoire de la réchauffer, et là, il sort une pelle. Sisi, j'vous jure, une pelle. J'sais pas si j'dois rire ou pleurer pour lui demander de me laisser la vie sauve, ou alors juste être inquiète pour mon ami qui se balade avec une pelle dans sa voiture. Mon moi réagit tout simplement en éclatant de rire comme une grosse con. La fatigue, la pelle, faut pas trop m'en demander non plus hein.

- T'as une pelle dans ta voiture ? Une pelle ? Mais qu'est-ce tu fous avec une pelle dans ta bagnole Ez ? Tu tues souvent des gens et du coup tu veux avoir un truc pour les enterrer rapido ? J'ai déjà croisé des gens avec de l'eau, tout à fait normal, du PQ, ça peut être utile, mais une pelle, jamais JA-MAIS. Bon okok, je laisse l'homme travailler. Travaille homme.

J'sais pas ce qui me retiens de lui envoyer de la neige. Je sais pas. Vraiment. Peut-être le duvet encombrant que je me trimballe depuis que je suis descendue du coffre, je sais pas. Hu. Ou alors c'est Ez, avec sa pelle, tout simplement, qui me rebute légèrement. Maybe.

Ava se retrouve rapidement dans la même situation que moi, c'est-à-dire les pieds dans la neige. Et elle râle tout autant, ça me fait bien rire. Je ne me le permettrais pas si je n'étais pas, moi aussi, les pieds en mode Mr Freeze - quoique. Et puis, de toute manière, elle, elle ne se dérange pas pour se foutre de ma gueule au moment où je sors la pelle de ma voiture. T'as une pelle dans ta voiture ? Une pelle ? Mais qu'est-ce tu fous avec une pelle dans ta bagnole Ez ? Tu tues souvent des gens et du coup tu veux avoir un truc pour les enterrer rapido ? J'ai déjà croisé des gens avec de l'eau, tout à fait normal, du PQ, ça peut être utile, mais une pelle, jamais JA-MAIS. Bon okok, je laisse l'homme travailler. Travaille homme. Je plante ma pelle dans la neige, sourire en coin, en l'écoutant déblatérer sur la présence incongrue d'un tel outil dans mon véhicule. J'suis pas sûr que tu veuilles vraiment savoir pourquoi j'ai ça dans ma caisse, je lance sur un ton énigmatique, ne lâchant pas une seconde mon sourire provocateur. Et puis tu seras bien contente que j'aie autre chose que du PQ et de l'eau, quand on sera enfin sortis de ce tas de neige !

Je me remets à creuser rapidement pour qu'on se barre au plus vite. Parce qu'il faut avouer qu'il fait vraiment froid, pour le coup, et que j'aimerais bien être déjà de retour bien au chaud dans ma chambre ou dans le salon Opal. Faut croire qu'on s'habitue pas à ce genre de choses, les températures négatives. Au bout d'une bonne dizaine de minutes, les pneus sont enfin libres, et on peut rentrer à la maison. Enfin à l'université quoi. Alors que je range discrètement ma pelle, j'attrape au sol de quoi faire une petite boule de neige, que j'écrase aussitôt sur le crâne bleuté de mon amie. Elle n'aurait pas pu s'en sortir indemne, ç'aurait pas été drôle. C'est surtout qu'elle l'a pas vue venir, je crois, qui me fait le plus marrer. C'est juste trop drôle à voir, huhu. Je fonce fermer le coffre et retourne au siège conducteur in extremis, en espérant qu'elle n'ose pas foutre plein de neige à l'intérieur de la voiture.

« J'suis pas sûr que tu veuilles vraiment savoir pourquoi j'ai ça dans ma caisse » me dit Ezra à propos de sa pelle, qu'il plante dans la neige avec un sourire en coin. Je remonte la couette sur mes épaules, faisant ma tête de Ava. C'est-à-dire que je fronce légèrement les sourcils, et je fais une sorte de bouche de canard. Un truc qui n'appartient qu'à moi quoi. Il fait peur mon Dieu. Je recule d'un ou deux pas, faussement mé fiante. Il a jamais autant ressemblé à un vieux bûcheron canadien pervers qu'à cet instant précis.

- Effectivement, j'crois que j'ai pas envie de savoir... Avoue t'enterres des gens, je fais plus fort, pointant un doigt accusateur vers lui, alors qu'il se remet à creuser.

« Et puis tu seras bien contente que j'aie autre chose que du PQ et de l'eau, quand on sera enfin sortis de ce tas de neige ! » Pas faux, il a pas tort. On serait pas dans la merde, si Ez ne se prenait pas pour un bûcheron canadien en emportant une pelle dans sa bagnole. Tant qu'il a pas de hache... Il a pas de hache ? J'me méfie. J'suis sûre il est comme Mary Poppins, il a plus d'une pelle dans sa voiture. Je marche autour de la voiture, attendant qu'Ezra finisse, essayant de pas laisser mes pieds dans le froid. Sauf que j'ai plus l'impression que je suis dans des sables mouvants en fait. J'dois avoir l'air tellement conne putain.

Alors que je m'y attends le moins, je sens quelque chose de froid sur ma tête. De très froid. De la neige. Oh le con.

- EZRA FE- dis pas son nooom EZRA TOUT COURT. NONMAIYO LÀ.

Je perds en crédibilité. Il a le temps d'aller fermer le coffre, alors que je me gaufre limite dans la neige, me prenant moitié les pieds dans... Mes pieds. C'est pas juste. J'en ai marre, pourquoi j'suis pas née avec des pattes de girafe sérieux. Je m'approche qu'il est déjà dans la voiture. Le con. Il va me le payer cher ça.

- J'vais te tirer les poils de moustache, tu vas voir toi, je souffle pour moi avant d'aller m'écraser sur lui avant qu'il ne referme la portière, lui faisant plus ou moins bouffer mes cheveux, et la neige par la même occasion. MON EZRA D'AMOUR ADORÉ, je savais que tu manquais d'affection, suffisait de demander. GROS CÂLIN EZOUILLE.

"Effectivement, j'crois que j'ai pas envie de savoir... Avoue t'enterres des gens," m'accuse Ava. A nouveau, je reprends mon sourire en coin qui se veut un peu beaucoup flippant, et marmonne dans ma barbe. Vivants. Et puis j'éclate de rire, d'un rire tout sauf naturel. Le genre de rire des méchants super machiavéliques dans les films pour gosses. Mouahahahahahah , quelque chose comme ça. Pauvre Ava.

Pauvre Ava, ouais. En plus de devoir supporter mon air de grand vilain à l'accent allemand prononcé, elle doit en plus de ça endurer mes blagounettes dont je suis le seul à rire. Mais faut dire que je rigole pour trente, donc ça passe. Surtout quand elle sort de ses gonds après que je lui ai balancé de la neige à la tronche, et qu'elle essaie de se retenir de prononcer mon nom de famille puisqu'elle sait pertinemment qu'elle n'y arrivera pas. Oh sérieux, c'est juste hilarant. Cette fille va finir par me tuer huhu. Et la voir galérer dans la neige alors que je saute au dernier moment dans la voiture, c'est la cerise sur le gâteau quoi.

Le problème, c'est qu'elle va quand même plus vite que je ne le pensais, et que je n'ai pas le temps de fermer la portière assez rapidement. Ava me saute dessus et me fait bouffer tous ses cheveux. Un "câlin", soi-disant. Si tous ses câlins sont aussi humides et littéralement froids, moi je préfère qu'on garde nos distances, si vous voyez ce que je veux dire. Je râle dans un fou-rire, en tentant de la repousser comme je peux. Oh nooon, ma barbe va faire des frisottis !, je lance d'un air des plus efféminés, ultime tentative pour qu'elle se casse de mon espace vital. Finalement, dans un dernier effort, je parviens à la pousser et la faire s'écrouler de tout son long dans la neige. Oups. Oh merde Avouille, désolé !, je fais entre deux éclats de rire. Je vais mourir là. J'en chiale presque uh. Je sors directement de la voiture, l'attrape aussitôt par le bras, la porte en mode princesse et la ramène sur le siège passager. Ahah j'suis vraiment désolé, c'était pas voulu huhu, je répète au cas où. J'attrape un duvet dans le coffre et l'enroule autour de la fille aux cheveux bleus pour qu'elle se réchauffe, puis allume le chauffage à fond une fois la Land Rover démarrée. C'est parti pour le chemin de retour !

Ce mec, j'crois qu'il est juste plus dingue que moi et mon bonhomme de neige en fromage réunis huhu. Genre il sourit comme un vieux bûcheron canadien, il ricane comme une vieille sorcière enrhumée, et, comme si ça suffisait pas, il enterre des gens. Vivants. Okok, non mais c'est tout à fait normal, qui n'a jamais assommé quelqu'un pour ensuite le foutre sous terre, j'vous le demande, qui ? Tout le monde a enterré quelqu'un vivant dans sa vie. ... LAULE. Honnêtement, si j'le connaissais pas, soit j'le prendrai pour un malade mental violent et dangereux, soit j'le prendrai pour un malade mental tout court.

Et pis comme si c'était pas tout, il se fout ouvertement de ma gueule, limite il va mourir tellement il rit parce qu'il manque d'air. J'me prends les pieds dans mes pieds, avec la neige plein la gueule, et lui il se bidonne en mode machine à laver en mode essorage. Et rien que de le voir rire comme un teubé ça me fait rire aussi. Du coup j'ai de plus en plus de mal, tu vois. C'est un cercle vicieux ça. "Oh nooon, ma barbe va faire des frisottis !" fait Ez d'une voix de pouffiasse qui s'est cassé un ongle.

- POUAHAHAHAHAH. Ct'excuse de merde, Ezra, j'ai jamais entend-

Je suis soudainement arrêtée par ma propre chute dans la neige. J'suis étalée comme un bout de chiffon dans la neige. Et c'est ce traitre tout poilu qui m'a poussée. Sale homme des cavernes, va. Non mais j'en ai marre, de me faire maltraiter là. Non mais ça suffit, je me révolte, je m'oppose, je révolutionne avec le riz moi là. Et pas qu'avec une poêle. ... Vous avez pigé ? Riz volution, on va faire tout sauter à la poêle ? Lustucru ? Non ? Ok bon laissez tomber. "Oh merde Avouille, désolé !" pourtant j'ai comme l'impression qu'c'est pas sincère.

- NON MAIS CA SUFFIT. J'EN AI MARRE DE TOI. C'EST PAS PARCE QUE T'ES GRAND QUE VOILA.

Je me redresse comme je peux avant que l'autre truffe il m'attrape, me soulève, et m'emmène me poser du côté passager. Si j'avais été méchante j'lui aurais foutu mon pied dans la tronche, mais j'l'aime bien, quand même, et puis il est sympa de me porter quand même. "Ahah j'suis vraiment désolé, c'était pas voulu huhu" il s'excuse encore alors qu'il m'enroule dans un duvet, retourne derrière le volant et allume le chauffage. Je tourne ma tête de décoiffée vers lui, soufflant sur une mèche rebelle venue se mettre devant mes yeux.

- Un jour j'te couperai la moustache dans ton sommeil, j'te colorierai la gueule avec un marqueur rose fluo. J'te déteste. ET FAIS PAS GENRE T'AS PAS FAIT EXPRES. Je plisse les yeux. La vengeance est un plat qui se mange froid, Zouille.

Et là j'me mets à rire comme lui tout à l'heure, en mode grosse démente de la vie. A fou, fou ennemi.