S'il fallait décrire ta famille, nous aurions dû utiliser le mot «nombreuse», car tu as huit frères et sœurs si l'on ne t'y inclue pas. Tu as tout de même eu énormément de chance; tu n'es ni le premier ni le dernier. Tu as plutôt hérité du rôle du garçon du milieu. Tu devais donc à la fois montrer l'exemple à tes cadets et essayer de suivre la cadence que tes aînés t'imposaient. Tu n'as d'ailleurs jamais eu de difficultés à suivre le rythme. Très facilement, tu t'es fondu au moule; tu participais à des activités parascolaires, tu possédais d'excellents résultats et tu avais des amis incroyables. Et puis, tu as rencontré cette fille. Tu n'avais d'yeux que pour elle; tes résultats ont rapidement chuté, tu te présentais rarement aux entraînements de l'équipe et tes amis ne te reconnaissaient même plus. Tu souhaitais tant qu'elle finisse par te remarquer. En vain, tu as décidé de laisser tomber tes plans. Et, elle a finit par craquer; elle est venue te voir de son plein gré et t'as demandé si tu voulais encore aller au restaurant. Tu as accepté. Après tout, ça ne pouvait pas te faire de mal!

Tu l'as fréquenté durant un certain laps de temps, avant de remarquer que tu en étais amoureux. Tu ne voulais pas lui en faire part. Donc, tu en as parlé avec tes parents. Ils n'étaient pas tout à fait d'accord; c'était tout de même elle qui t'avait fait échoué tes mathématiques au début de l'année! Tu as insisté. Tu as promis de ne plus refaire la même erreur, qu'elle pourrait te donner un coup de main, etc. Après un consensus, ils acceptèrent à une condition; de la rencontrer pour faire sa connaissance. Tu n'y voyais pas d'inconvénients, alors tu as foncé chez elle pour lui annoncer la nouvelle. Étonnement, elle ne te semblait pas réjouie. Elle t'a crié des bêtises et t'a claqué la porte au nez. Déçu, tu es retourné chez toi en traînant les pieds. Tu étais énormément blessé. Ton cœur ne voulait toujours pas y croire.
Quelques mois plus tard, cette même fille est revenue vers toi. Elle s'est excusé et t'a fait croire qu'elle avait eu des relations difficiles dans le passé. Étant drôlement naïf, tu n'y as vu que du feu. Tu as présenté Beth à tes parents. Ils l'ont tout de suite apprécier. Et toi, tu étais très heureux de savoir que vous pouviez enfin vous démontrer votre amour. Vous avez couché ensemble pour la première fois, la deuxième, puis pour la troisième fois. Vous disant que vous étiez capables de vous arrêtez à temps, vous n'aviez pas mis de protection. Tu pensais qu'il n'y aurait aucun inconvénients à le faire sans. Mais tu as vite réalisé que c'était une très mauvaise idée.

« Ren, j'ai quelque chose de très difficile à t'avouer. Ça n'est pas évident. Mais je me dois de te le dire parce que ça te regarde. Je- » À l'époque, tu avais dix-huit ans et vous aviez toute votre vie devant vous. Tu avais reçu ta lettre pour entrer à l'université d'Ottawa et une bourse pour accéder à un niveau supérieur au basket-ball. Tu devais faire ton entrée là-bas au mois de septembre. Mais tu ne pouvais pas, du moins, ne pouvais plus. « Je- Je suis enceinte. Ne me dis pas que tu n'es pas le père, car je ne t'ai jamais trompé. Ren, tu es papa! Tu es le papa d'une petite fille! » Tu espérais que ça soit une blague de mauvais goût. Même si tu savais pertinemment que Beth ne faisait jamais de plaisanterie aussi sérieuse. Tu as avalé ta salive avec difficulté et aussitôt, tu t'es mis à pleurer. Tu te demandais si tu pleurnichais de joie, de colère ou de tristesse. Ton amoureuse t'a entouré de ses bras, t'a câliné jusqu'à ce que tu te calmes et t'a déposé un baiser au sommet de ton front. « Mon amour, on va y arriver ensemble. Ne t'en fais pas. » Ce jour-là, tu voulais y croire. Mais tu n'y arrivais pas. Qu'est-ce qui t'avais pris de croire que tu pouvais le faire sans protection? Maintenant, tu avais la charge d'un bébé sous les bras.
Tu as finalement accepté le fait que tu étais le père de cette petite fille. Tu avais mis tant de temps à te l'admettre. Et, le jour J, tu en crus encore moins tes yeux; ta conjointe est décédé en mettant votre bébé au monde. Tu te retrouvais donc avec la responsabilité d'un enfant. Tu allais devoir affronté cet épisode seul et honnêtement, ça t'effrayait.

À ton retour chez tes parents, tu t'es avoué vaincu; tu es revenu la tête basse et tes yeux trempés par tes propres larmes. Tes parents t'ont étreint aussi fort qu'ils le pouvaient dans leurs bras. Ils t'ont proposé de t'installer à nouveau chez eux pour pouvoir t'occuper correctement de ta fille. Tu as d'abord refusé, car tu ne voulais pas que tes frères et tes sœurs te considèrent comme étant un raté. Mais tu as vite changé d'avis en voyant ton reflet dans le miroir; tu étais exténué, tes joues étaient creuses et ta peau touchait le moindre de tes os. À la suite de cet épisode, la folie t'a atteint. Tu ne voulais plus manger; tu ne fermais plus l’œil de la nuit; tu n'étais plus autant attentif qu'auparavant; et par-dessus le marché, tu détestais qu'on soit trop près de toi que ça soit de longue ou de courte durée. Tu avais d'innombrables comportements agressifs avec tout ceux qui essayait de t'aider. Tes parents t'ont poussé à consulter un médecin au plus vite. Ils ne voulaient pas que Joé soit blessé durant l'une de tes phases. En vain, ils ont été obligé de te médicamenter pour des troubles de maniaco-dépressifs.
Une fois que tes parents étaient sûrs et certains que tu suivais ta médicalisation à la lettre, tu as quitté de nouveau le nid familial pour t'installer à Montréal. Ainsi, tu pouvais visiter tes parents beaucoup plus souvent et suivre tes cours à l'université de ta ville natale. Joé a grandit; maintenant âgé de trois ans, tu vis des moments fantastiques aux côtés de ta fille. Et tu vois désormais ce chapitre comme étant une leçon de vie.