Je balance mon sac sur ma table de travail, sautillant. Aujourd'hui, c'est le premier essayage depuis l'année dernière, et j'dois avouer que je suis particulièrement excitée à l'idée de voir ce que donne mes modèles. C'est pas que j'peux pas les porter, mais on se base sur un mannequin d'1m70 pour faire les fringues, et c'est pas comme si j'avais 10cm de moins, mais un peu quand même. J'fais à peu près 1m58, alors vous voyez, c'est pas bien pratique pour essayer des fringues taillées pour une personne d'1m70. Et pour faire les retouches, ça l'est encore moins. Du coup, on cherche des modèles pour porter nos fringues, et celle qui correspond à mon style et qui a les bonnes proportions, est Esfir Rosario. La connasse Garnet par excellence, vous devez probablement la connaître. Mais bon, je m’accommode, faut bien quelqu'un pour essayer mes fringues. Alors je reste zen, et tout se passe parfaitement bien.

Je vais dans la réserve chercher mes fringues, que je pose sur ma table en prenant soin de ne pas les froisser. En plus, ça tombe bien, personne n'est là pour le moment, comme ça on aura champ libre. Aujourd'hui, j'ai testé autre chose que des fringues déchirées ou un style grunge. J'ai fait une pièce particulièrement moderne, et j'dois avouer que je la trouve cool. J'pense que je la ferai à ma taille, très honnêtement. C'est spécial, mais moi j'adore. C'est une sorte de combinaison. Le haut s'arrête en-dessous des clavicules, les épaules sont découvertes, les manches longues, et c'est ouvert au niveau des côtes, à peu près au niveau des plumes que j'ai de tatouées, si vous voulez savoir où c'est exactement. Elle continue jusqu'en bas des chevilles, comme un jeans slim, on trouve deux poches aux fesses, et deux autres le long des cuisses. Mais c'pas juste des poches comme sur les jeans, j'saurais pas comment vous expliquer ça mh. C'est le genre de combi que tu portes avec une chemise sur le dos ou autour de la taille, ou bien un blouson en cuir. Après, des tennis, des timberland, docs, talons aiguilles, plateformes, le truc vachement adaptable vous voyez. Je l'ai faite en noir, pour commencer. Et j'suis plutôt fière de moi.

Je m'assois, attendant Esfir, qui ne semble pas vouloir pointer le bout de son nez. On avait dit 14h, pas 14h30. Je soupire, grattouillant mon short en jean déjà bien déchiré. Je balance le gobelet de mon cappuccino dans la poubelle, commençant à m'impatienter. Faut qu'elle se dépêche, à 17h j'dois aller en cours moi. Et on a besoin d'au moins une heure pour la combi, donc bon, sachant que c'est pas la seule pièce, va falloir qu'on se refasse une séance d'essayage demain. Putain, ça m'énerve ça. C'est absolument pas respectueux, merde à la fin.

J'vous jure je vais changer de modèle, c'pas possible une fille qu'arrive toujours en retard. Et c'est pas comme si je lui avais demandé de débarquer à 8h du mat, bon sang. 14h, c'est pas la mort, non ? Elle a eu le temps de manger, de prendre une douche, de faire j'sais pas quoi avant, alors pourquoi est-elle en retard, au juste ? Quand on parle du loup, on en voit la queue. Esfir Rosario entre alors, en mode pétasse, et balance son sac sur la table. Sans se soucier si ça gêne, évidemment, ç'aurait été trop beau. "Avaaaa ! ça faisait longtemps chérie !" Je lève les yeux au ciel, soupirant. Rester calme, surtout.

- Salut Esfir, je la salue simplement, me levant.

"Alors petite tu m'as trouvée quoi aujourd'hui ? Y'a intérêt à ce que ce soit beau, là." Elle m'agace, qu'est-ce qu'elle m'agace. Si j'étais un écureuil y aurait belle lurette que je lui aurais balancé une papaye à la gueule, j'vous l'dis. Mais bon, je ne suis pas un écureuil, alors j'vais me contenter de lui crever les yeux avec des aiguilles. Zen Ava, zen. Je décide de l'ignorer, parce que sinon j'pense que j'risque d'être un peu trop brusque, et j'veux pas foutre l'essayage en l'air, qu'elle se casse et que j'me retrouve en retard à cause de conneries pareilles. Alors je prends sur moi et tout va bien se passer. Comme d'habitude. Elle me provoque, je ne réplique pas. Je m'avance vers mon plan de travail pour attraper la combi, que je tends à la brune.

- Tiens, essaie ça en premier. Tu feras gaffe, y a certainement une ou deux épingles qui se baladent encore, j'ai pas tout enlevé parce qu'il fallait que t'essaie avant que j'assemble tout. Je tente un sourire, histoire que ça passe bien. Et au pire, Esfir, ce n'est pas fait pour te plaire. Si les gens étaient tous comme toi on s'en sortirait pas. Deuxième sourire.

C'est un peu sorti tout seul hem. Elle m'énerve trop pour que je reste de marbre comme ça. Mais bon, je ne m'énerve pas non plus. Je ne m'énerve que rarement, à vrai dire. Rester calme déstabilise beaucoup plus les gens, si vous voulez mon avis. Parce qu'ils ont pas ce qu'ils veulent, du coup ce sont eux qui s'énervent. Et c'est particulièrement drôle, si vous avez déjà assisté à ça, vous voyez de quoi je parle.

"Ava chérie, pas la peine de te forcer à sourire, tu baignes dans ton propre bain d'hypocrisie.. T'embêtes pas pour moi." Elle pose sa sale patte sur mon épaule, faussement amicale. Je lève les yeux au ciel, décidant de me rasseoir en attendant que la demoiselle enfile ce que j'viens de lui donner. Fuh, pourquoi j'ai pas de papaye avec moi sérieux. Elle est tellement agaçante, que j'pense que je pourrais demander à Ez de l'enterrer vivante grâce à la pelle qu'il garde dans sa voiture. Faudrait que j'y pense, moi aussi, tiens, à mettre une pelle dans ma voiture, ça peut être vraiment pratique. Il me faudrait une pelle télescopique. Pour les situations du genre. Parce que bon, j'vais pas retourner jusqu'à ma bagnole pour attraper la pelle, elle aurait le temps de se casser en courant, et avouons c'est pas le but premier. Il faut qu'elle reste, que je l'assomme et l'enterre. Ofh, j'aurais besoin de l'aide d'Ezra pour déplacer le corps, c'pas avec mes 40kg toute mouillée et ma force de poulet nain que je vais réussir à la traîner sur plusieurs centaines de mètres vous voyez.

Enfin, Rosario ressort et va se positionner sur l'espèce de podium qui sert aux retouches. J'attrape épingles et tout ce qui faut avant de me lever et de m'approcher d'elle. "Allez vas-y, tripote-moi." Je ne réponds pas, commençant à enlever une ou deux épingles au niveau de la taille.

- T'as grossi, Esfir. Je replace une épingle, raccordant les deux bouts de tissus. Faut pas abuser du chocolat ma vieille.

Je lui adresse un sourire, retouchant les jambes, avant d'approcher une chaise pour grimper dessus. Ouais, c'pas avec mon tout petit mètre 60 que je vais réussir à atteindre les épaules d'Esfir, surtout qu'elle est montée sur quelque chose. Je coince une épingle entre mes lèvres, commençant les retouches de la partie haute.

- Remarque, j'pourrais faire une collection femme enceinte que tu me servirais toujours de modèle, si tu continues à épaissir comme ça. Au même moment, je ne fais pas tout à fait attention et lui pique l'épaule avec l'épingle. Oups, j'ai pas fait exprès. Muhahaha. Désolée.

"Tu peux parler, Bonbonne de gaz." Je hausse un sourcil. Bonbonne de gaz c'est moi ? Ok, j'suis petite et j'ai pas le cul de Taylor Swift, mais de là à dire qu'j'suis une bonbonne de gaz y a du chemin. Remarquez, j'suis une grosse bonbonne de gaz, ouais, parce que ça m'étonnerait qu'y en ait qui fassent plus de 40kg. Mes jeans, quand je les achète, j'prends la taille 4, 6 selon la coupe et si ça fait deux ans que j'ai pas fait de sport mh. Limite j'peux prendre mes jeans au rayon enfant, mais bon. Si ça l'amuse de m'appeler bonbonne de gaz parce que j'ai pas le cul de Taylor Swift, soit. C'pas le genre de truc qui me font chialer, j'en ai vu d'autres. Elle est certainement plus lourde que moi, m'enfin bon. Faut pas contrarier les fous, ça les rend méchants.

"A ta place, je ne jouerai pas à ce petit jeu bonbonne de gaz." me menace Esfir après que je l'aie piquée. Ouh, je tremble. Elle est ridicule, elle se rend pas compte que personne n'a peur d'elle. Elle est pas impressionnante pour deux sous, elle ferait limite pitié. Je sais pas ce qu'il se passe dans sa tête, pour qu'elle s'en prenne aux gens comme ça. Elle complexe ? Sur quoi ? Elle est jalouse ? Elle trouve pas de mec ? Ou elle a juste constamment ses règles, j'sais pas. Mais c'est grave, faut arrêter quelque chose, ma pauvre Esfir. Ou commencer, selon.

- J'ai pas fait exprès, Rosario. Et si tu crois que tu m'impressionnes, tu te fous le doigt dans l'oeil. C'est pas parce que tu fais une tête et 20kg de plus que moi que j'ai peur, hein. Et je ne répondrai pas à tes provocations, j'ai autre chose à faire que me prendre la tête pour des choses aussi futiles. Quand tu auras compris que c'est quand t'arrêteras d'attaquer sans cesse les autres que tu intéresseras réellement les gens, peut-être qu'on pourra parler comme des grandes personnes. Tu réagis comme une gamine jalouse, c'est vraiment déprimant tu sais, je souffle en redescendant de la chaise pour reposer mes épingles sur la table, parfaitement calme.