Mon dieu, c'était la catastrophe, j'étais mort, ce n'était pas possible autrement! J'avais les yeux explosés, la tête détruite, l'estomac qui ressemblait à un tambour de machine à laver et le corps aussi lourd que si quelqu'un m'avait posé le marteau de Thor dessus. Et je ne sentais plus ma main gauche, mais ça, je pensais que quelque chose ou quelqu'un dormait sur mon épaule donc théoriquement, ça pouvait être normal. J'avais juste pas le courage d'ouvrir les yeux pour vérifier. J'avais l'impression d'être un parpaing sérieux. J'essayai vainement de me rendormir pendant un laps de temps indéterminé, puis, voyant que ça ne servait à rien, me décidai à faire la seule chose qui me restait à faire: me barrer.
J'ouvris délicatement les yeux, pour éviter de me brûler la rétine à cause des rideaux pas fermés. Catégoriquement, j'étais à l'UE, mais dans une chambre qui n'étais pas la mienne. Même, je parierais sur une chambre de fille, puisqu'à moins d'une énorme orgie dans ma chambre, je n'avais pas autant de fringues de meuf moi, voir pas du tout en fait. Je tournai ensuite la tête vers la personne avec qui j'avais dormi, ou plus -je ne m'en souvenais plus, et je n'étais pas sûr d'avoir envie de m'en souvenir. Loin de moi la prétention de dire que la fille qui dormait était laide, elle était même carrément tout le contraire, mais parfois l'ignorance vaut mieux. Cependant voilà, pour partir, il allait falloir que je la dégage d'abord, et ça, ça risquait d'être mission impossible au vu de mon état, et de la situation; j'étais allongé sur le dos, normal, avec l'inconnue à moitié étalée sur moi, la tête sur mon épaule, une jambe entre les miennes et ma main passée autour de sa taille. Ç’aurait pu être mignon, de dormir comme ça, si on était en couple et surtout si on se connaissait.
Clairement, je ne me souvenais même plus être rentré à l'internat. J'étais dans un bar, bourré, mes potes pareils, à essayer de draguer un mec hétéro, puis voilà le black-out total. Et là je me réveillais comme une fleur -un peu fanée pour le coup- dans une chambre de fille avec certainement sa propriétaire. Je ne savais même pas dans quelles circonstances j'aurais pu rencontrer cette fille. Alors j'aurais pu attendre qu'elle se réveille pour lui demander ce de quoi elle se souvenait, mais comment dire... pas le courage. En plus, on était même pas à poils, et bien que cela ne représentait en rien un signe d'une nuit chaste, j'allais faire exception et prétendre que c'était tout comme.
J’essayai donc de me casser de là sans la réveiller. Dur combat, mais je parvins néanmoins à me lever sans trop la faire bouger, et surtout sans lui faire ouvrir l’œil. Après, marcher était une autre bataille. Marcher droit? Même pas imaginable. Je récupérai tant bien que mal mes fringues et pensai seulement à remettre mon pantalon. Bats les coui*les du tee-shirt, puisque j'allai juste me pieuter dans ma chambre. Je devais, normalement, aller en conférence sur le don d'organe, mais... non. Bon, je n'étais certes pas très discret en me rhabillant, mais j'aurais pu faire bien pire, genre tomber sur le sol comme une loque. Par contre, le top de la discrétion fut sans doute cet affreux moment où, à peine mes jambes rhabillées, mon téléphone oublié dans la poche se mit à sonner. Down to nothing, de Arch Enemy. Je ne savais pas si elle aurait la même gueule de bois que moi, mais j'espérais pour elle que non, parce que le métal en lendemain de cuite, ça passe aussi bien qu'un coup de poêle dans la gueule.

Hs:

Et merde, voilà. C'était à prévoir, mais la sonnerie de mon téléphone avait réveillé la fille. A moitié relevée dans son lit, elle semblait avoir pris conscience de la gueule de bois, puisqu'elle ferma les yeux et mit une main sur son front.

"Mais putain qu'est-ce qu.."

Bon, elle n'avait pas l'air surprise de voir un mec à moitié dévêtu dans sa chambre, alors je voulais bien prendre un thé, mais avant tout chose, je devais répondre au téléphone, appel du paternel oblige.

"Putain t'es qui pour avoir une sonnerie aussi pute?"

Je tendis une main ouverte dans sa direction pour lui faire comprendre que je lui répondrais après, mais qu'actuellement, j'avais autre chose à faire. Le téléphone à l'oreille, j'écoutai mon père me demander des nouvelles. Bordel, je crois qu'il n'avait pas encore compris le principe du décalage horaire, et encore moins celui de la gueule de bois. Je lui répondis d'une voie aussi normale que possible:

"Oui moi aussi je vais bien père, mais je dois aller en cours, je vous rappelle plus tard, bonne journée."

Je lui avais répondu en japonais, puisque je ne parlais jamais français avec mon père. Je mis mon téléphone sur silencieux et me retournai vers la fille. Elle m'avait l'air bien énervée quand même. Tu m'étonnes, moi si quelqu'un me réveille comme ça en lendemain de cuite, je le castre direct'. Je l'entendais grogner son mécontentement, mais elle n'avait pas l'air bien méchante.

"Déjà bonjour. Ensuite, je 'sais pas ce que t'entends par pute, mais t'insulteras ma sonnerie de pute le jour où ce sera Ariana Grande. Ça c'est de la musique de merde."

Je m'imaginais très bien tout seul que maintenant, ce n'était plus très poli de me barrer comme un voleur, alors je me rassis sur le bord de son lit et pris ma tête entre mes mains. Ça faisait bien longtemps que je ne m'étais pas retrouvé aussi mal en lendemain de soirée.

"Hiro, je m'appelle Hiro. J'imagine que je connaissais ton prénom, mais avant. Du coup tu t'appelles..?"

Ouais, dans le fond, son prénom me passait un peu au dessus de la tête, mais c'était pour me donner bonne conscience, et comme ça peut-être qu'en discutant, on se souviendrait de quelque chose, bonne comme mauvaise. Je lui adressai un vague sourire d'excuse, puis me laissai m'échouer à ses côtés sur son lit. J'étais bien trop mort pour rester assis. Je repris:

"Tu te souviens de quelque chose ou bien..? Parce que c'est le néant dans ma tête, mais violent genre je me souviens même plus qu'on se soit déjà rencontré un moment dans notre vie."

"Len."

Elle avait dit ça d'un ton tellement bas-ass que si on avait été dans un film, le décor aurait explosé derrière elle et elle aurait enlevé une paire de lunettes de soleil supra-chère pour la balancer sans état d'âme. Bref, qu'elle l'ait fait exprès ou pas, elle en imposait vachement. Même si, entre nous, j'étais beaucoup trop achevé pour en avoir quelque chose à foutre de ce qu'elle imposait. Je tournai juste la tête en sa direction et hochai la tête pour montrer que j'avais compris. Par contre, fallait avouer que ça sonnait comme un diminutif, Len. Bon, parallèlement, je disais peut-être ça parce que la seule Len que j'avais déjà rencontrée dans ma vie s'appelait en réalité Läena.

"C'est joli comme prénom, c'est un diminutif ou bien...?"

Mais bon, pas le temps d'obtenir une réponse qu'elle continuait:

"T'es un marrant toi, tu crois vraiment que j'ai l'air d'avoir une tronche à m'en souvenir ?"

J’esquissai un sourire. Effectivement, elle avait l'air clairement défoncée, surtout les yeux en fait, mais bon; lendemain de cuite oblige. Donc objectivement, non, elle n'avait absolument pas une tête à s'en souvenir, mais après tout, demander ne m'avait rien couté de plus. Je reconnaissais malgré tout: question conne et super inutile. Je rigolai donc légèrement, mais manquai de m'étouffer à sa phrase suivante:

"Dommage qu'on ait pas couché ensemble."

C'était... spontané. Et ça avait le mérite d'être franc.  Mon rire à moitié étouffé finit par s'estomper, et je toussotai pour reprendre contenance. Dans l'absolu, y'avait toujours moyen de s'arranger, surtout pour une demoiselle pareille: elle avait l'air magique à vivre au quotidien, un peu pétasse mais pas méchante pour un sous. Mais... plus tard, laissez moi décuver d'abord. Baiser avec la gueule de bois, c'était pas cool. Je relevai les yeux vers Len. Elle avait l'air tellement sérieuse en disant ça qu'elle devait l'être.

"T'es chastre ou quoi ?"

Oui, bien sûr. Moi, chaste. Évidemment, tout le monde était au courant. Je manquai de lui éclater de rire au nez, mais réussis à garder un air sérieux. Mais sur le coup aussi, elle n'avait pas l'air de plaisanter, alors pourquoi pas en jouer et lui faire croire que c'était le cas. C'était une idée de merde, mais je n'avais rien d'autre à faire de ma vie pour l'instant, puisque contrairement à ce que j'avais dit à mon père trente secondes plus tôt, je n'envisageai pas une seule seconde de me pointer à  mon cours d'immuno.
Je rougis intentionnellement, et baissai les yeux vers mes pieds.

"Bah en fait... on est plutôt branché religion dans ma famille... Alors les aventures d'une nuit, c'est pas trop mon truc" Bien sûr Hiro, tout le monde y croit. "Alors tu vois, je suis pas trop pour me faire dépuceler avant mon mariage."

C'était de loin la plus belle connerie que j'avais inventé de ma vie. Plus sérieusement, si mes parents avaient réussi à m'éduquer comme ils l'auraient voulu, sans doute aurais-je fini comme ça, mais théorie n'étant pas pratique, j'étais à des lieux de cette vie de fils à papa. J'avais du mal à rester sérieux tellement le mensonge était énorme et la tête qu'elle tirait était tout aussi magnifique; je finis par sourire comme un gamin et éclatai de rire.

"Nan je rigole, j'me moque de toi, parce que c'est super drôle de m'imaginer chaste en vrai. Ce serait vachement triste de vivre comme ça.  C'est bien plus drôle de se bourrer la gueule comme un russe, de faire que des conneries, et de baiser avec n'importe qui!" En général, j'essayai de parler avec un minimum de classe en présence d'inconnue, mais cette Len semblait tellement s'en battre les couilles du code éthique des choses que je ne sentais pas obligé de faire semblant d'être un être classe. "Du coup, je 'sais pas pourquoi on  est resté sage, mais bon ça, y'a toujours moyen de s'arranger la miss."