La sonnerie stridente signalant la pause déjeuner vient de sonner. Je meurs littéralement de faim, mon ventre n'a cessé de gargouiller durant le cours de biochimie. Heureusement que le prof n'a aucune autorité: dans le brouhaha de la classe, mes grenouilles sont passées totalement inaperçu. Je ramasse mes affaires pendant que la salle se vide peu à peu. Et voilà, je suis encore la dernière à sortir. Je ne désespère pas de comprendre un jour le plan du campus, en attendant, je me contente de suivre la foule d'étudiants en priant pour que ces derniers aillent au même endroit que moi.
En faisant la queue au self, j'étudie les visages. C'est fou ce qu'on peut apprendre rien qu'en observant les expressions des gens. "Mademoiselle ?". La serveuse visiblement agacée me sort de ma rêverie. Je lui donne ma carte étudiante qu'elle scanne avant de m'intimer l'ordre d'avancer d'un simple geste du menton. J'attrape un plateau et commence à me servir en entrée et plat principal. Je renonce à prendre un dessert en voyant l'état de ce dernier. Je ne suis même pas sûre que ce soit mangeable. Je sens une boule se former dans ma gorge au moment où je dois m'asseoir. Il n'y a pas de tables de libre... Si, au fond, tout au fond, il y en a une. Sauvée. Je dois avoir l'air idiote à sourire d'un coup comme une débile. Je m'assieds à ladite table et sort mes cours d'anatomie. J'ai prévenu de réviser en mangeant: médecine c'est dur, alors pas question de prendre du retard. Mon cours d'anat' devant les yeux, je commence à dévorer ma salade. Le monde autour semble disparaître. J'oublis tous les bruits, tous les gens autour. Il n'y a que moi, ma salade et l'angiologie du membre supérieur.

Christian & Deborah
© Never-Utopia

Lorsque la sonnerie parvint jusqu'aux oreilles de Christian, ce dernier releva la tête et regarda l'horloge qui se trouvait dans la salle de classe. C'était l'heure de la pause déjeuner. Déjà ? Les cours de la matinée étaient passés à une vitesse folle... c'en était presque inquiétant. Où était-il pendant tout ce temps ? Dans ses pensées, sûrement. Déconnecté du monde extérieur, perdu entre rêve et réalité. Il pensait peut-être aux dernières choses qui s'étaient passées dans sa vie. Oui, ça lui ressemblait. Penser et oublier ce qu'il y avait autour de lui, c'était le quotidien de Christian. Après tout, il n'avait jamais vraiment été là. Il était là physiquement, pas mentalement. C'était sûrement ça qui le rendait étrange aux yeux des autres. Peu importe. Le brun – vive les teintures ! – rangea ses affaires en silence, essayant de ranger sa maladresse au plus profond de lui. Manquerait plus qu'il se coupe. Il sortit en dernier, mais heureusement pour lui, les couloirs étaient tout de même remplis d'étudiants. Le jeune homme essaya de trouver une personne de son entourage – même Drew, son adorable cousine qui lui pourrissait la vie –, sans succès. Bah, ils étaient sûrement au self !

Il entra avec les autres étudiants et fit la queue, attrapant rapidement un plateau. N'ayant pas vraiment faim, Christian attrapa un plat, qui ne semblait pas vraiment mangeable, et se dépêcha de se chercher une table. Une place, là, au loin. Avec des gens de son cours. Bon, le brun aurait préféré être seul, mais il y avait trop de monde et trop de bousculades pour faire la fine bouche. Hors de question d'abîmer sa chemise ! Alors il se dirigea vers la place, s'assit et mangea une bouchée de son assiette, avant de grimacer. Dégueulasse. Il sortit un carnet de croquis et chercha quelque chose à dessiner du regard, coinçant un crayon entre ses dents. Puis quelqu'un attira son attention : une fille blonde, avec un air paumé, qui était seule à une table. Christian continua de la fixer, manquant de lâcher son crayon. Qu'il se l'avoue, elle était belle. Le genre de beauté discrète qu'on croisait dans les couloirs. Quelques mètres les séparaient, et il avait envie d'aller s'asseoir à côté d'elle. « Fais-le. » Deux minutes plus tard, il était assit en face de la jeune fille, qui avait sorti des cours. Si elle souhaitait réviser, il n'allait pas la déranger. Alors, sans la saluer, sans user de formule de politesse, il ressortit son carnet et commença à la dessiner. Il dessinait en silence. Il observait celle qui pourrait être sa nouvelle Muse.

Le drainage lymphatique manuel et la pressothérapie font partie de l'arsenal thérapeutique des traitements physiques dans la réduction des œdè... Ma salade terminée, je décide de commencer mon plat. En levant les yeux de mon cours, je sursaute violemment. Il y a quelqu'un d'assis en face de moi. A quel moment est il venu s'asseoir ? Attends, depuis combien de temps est il là ? Pourquoi je ne l'ai pas vu arriver ? Comment puis-je devenir médecin si je n'arrive même pas à remarquer un truc aussi flagrant que ça ? Je mets de côté ces questions existentielles pour observer le garçon qui est assis devant moi.
Il est brun, semble avoir mon âge. Il a la regard sombre de celui qui cache quelque chose. Je ne m'attarde pas sur son physique pour me concentrer sur ce qu'il est en train de faire: il dessine. Il dessine et semble donner tout ce qu'il a dans son dessin. Comme si tout son être s'adonnait à réussir ce qu'il fait. Je ne sais pas si il serait poli de regarder ce qu'il dessine. Non, ça ne le serait pas. Sûrement pas. Alors, je me contente de le regarder dessiner. Il exerce son art avec tant de passion, c’est tout simplement fascinant. Je m'éclaircis la voix pour finalement me taire, de peur de le troubler, ou pire de l'arrêter. Dans le silence le plus complet, j'entame le plat principal. Après avoir manqué de m'étouffer devant le goût ignoble du plat, je décide de me contenter d'une salade pour ce midi. De toute manière, je n'ai plus faim. Je jette un dernier coup d’œil à mes cours. Je souris en voyant mes croquis d'anatomie, tracés d'une main tremblante. Je n'ai jamais su dessiner, pourtant j'ai toujours été passionnée par l'art. C'est assez frustrant mais avec le temps je me suis faîte à l'idée. Je relève la tête vers le garçon en attendant patiemment qu'il est terminé son dessin. Je dois lui demander ce qu'il a dessiné.

Christian & Deborah
© Never-Utopia

Christian continuait de dessiner la jeune fille, oubliant tout ce qu'il y avait autour de lui. Il ne voyait qu'elle, cette jolie blonde obnubilée par ses révisions. Le jeune homme continua de dessiner ses traits, ses cheveux fins dont quelques mèches s'échappaient, sa bouche pulpeuse, ses beaux yeux bleus. Oui, cette fille était plus que jolie : elle était magnifique. Elle était comparable à un ange tombé des cieux, condamné à rester auprès de ces êtres ingrats que sont les mortels. Qu'est-ce qu'il racontait ? Des bêtises, comme d'habitude.

Christian écrasa la mine de son crayon dans un coin de la feuille, avant de frotter son doigt dessus. Il comptait faire les ombres. Ombrer sa jolie Muse, qui ne faisait aucun bruit, tout comme lui. Mais lorsqu'il releva la tête, il vit que la blonde le regardait. Pourquoi est-ce qu'elle le regardait ? Elle lui avait parlé ? Christian se connaissait, si elle avait parlé il n'aurait rien entendu, trop perdu dans ses pensées. Le jeune homme se mordit la lèvre en haussant les sourcils, posant son carnet sur la table.

« Désolé, dit-il, j'aurais dû te demander avant... avant de te dessiner. »

Il réussit à esquisser un sourire, faisant rouler son crayon le long de la table. Est-ce qu'elle allait se mettre en colère ?

Je ne sais pas combien temps nous sommes rester comme ça, lui dessinant, moi regardant. Soudain, il lève les yeux vers moi et nos regards se croisent. Cramée. Ça m'apprendra à scruter les gens sans aucune retenue. Je peux lire l’incompréhension dans ses yeux et je me sens terriblement gênée de l'avoir dévisagé comme ça. Merde, Deb, ça ne se fait pas, où sont passées tes bonnes manières ? Je baisse les yeux, sentant le rouge me monter aux joues. Il pose son carnet sur la table. Je m'autorise à lui jeter un regard et j'en profite pour l'étudier rapidement. Il est plutôt mignon, une sorte de beauté naturelle et discrète.

Il semble lui aussi un peu gêné, je m'apprête à m'excuser lorsque ses lèvres se mettent à bouger:"Désolé, j'aurais dû te demander avant... avant de te dessiner". Je mets quelques secondes avant de comprendre ce qu'il vient de dire. De me dessiner ? C'est moi qu'il dessinait avec tant d'ardeur ? Ma bouche s'entrouvre et j'ouvre de grands yeux. L'incrédulité me donne des allures de poissons hors de l'eau. Je me ressaisis assez rapidement et penche la tête sur le côté. Je prends une grande inspiration et prends enfin la parole:Non-non, c'est juste un peu déroutant... Un peu déroutant ? Sérieusement Deb, tu peux faire mieux que ça... Je reprends: Je veux dire que... enfin, c'est flatteur.... C'est juste que je n'ai pas l'habitude. Ridicule. Je ne peux m'empêcher de sourire devant la niaiserie de ma remarque. J'ai vraiment envie de voir comment il m'a dessinée. Ça à l'air totalement narcissique mais ça ne l'est pas, c'est juste de la curiosité... Je lui adresse un petit sourire timide et lui demande: J-je ne suis pas sûre que ce soit très poli mais est-ce que je peux regarder ton dessin ? Ma curiosité me tuera. Pitié, faîtes qu'il ne le prenne pas trop mal.