Ça y est, le Spring Break a démarré, c'est l'heure pour tous ces abrutis de se ruiner le cerveau et le foie à coup de binge drinking, et d'abîmer sévèrement leur dignité à coup de concours de t-shirts mouillés ou autres strip pokers géants. Très peu pour moi. Une bière ou deux dans un bar avec des potes, en général ça me suffit largement. Pas besoin d'aller se pavaner en petite culotte devant tout le monde sous prétexte que l'année a été longue et que les gens ont besoin de se sentir vivants. Ben c'est vrai quoi, y a pas meilleur moyen de se sentir vivant que de gerber ses tripes et de crever dans un coma éthylique, voyons. C'est pour ça qu'on utilise l'expression "ivre-mort" bien sûr. Adeptes des contresens et de l'illogique, allez cordialement vous faire foutre, vous savez si bien le faire en plus de ça.

Personnellement, j'ai préféré ne pas aller cuire comme un homard à des centaines de kilomètres de Montréal, et je suis resté profiter de l'absence de tous ces adulescents pour prendre un peu de vacances à mon tour. Ça ne me fera pas de mal, après tout. Ma peau de Gallois n'aurait pas supporté le soleil mexicain de toute manière. Et puis, j'ai suffisamment ramené de potins à S pour cette année, j'estime avoir le droit à un peu de repos. J'ai quelques collègues qui sont partis à ma place en plus, donc je ne me fais pas trop de soucis quant au prochain tableau d'affichage.

Ça fait du bien, de ne croiser personne, ou presque, dans les locaux. Depuis que je suis l'associé de la Dame du Tableau, j'ai l'impression d'avoir contracté une sorte de misanthropie. Je n'aime plus les gens autant qu'avant. J'en suis venu à mépriser ma meilleure amie, à tel point que je l'ai poussée du toit de l'UE. En soit, c'est vraiment triste. Mais j'en suis à peine affecté, en fait. Parfois j'y pense, et ça me fait ni chaud ni froid. Il m'est même arrivé de me pouffer en voyant sa grimace de surprise au moment de la chute. Mais bon, je préfère ne pas trop y penser, histoire de me dire qu'il me reste encore une part d'humanité, aussi infime soit-elle.

Alors que je me bouge pour rejoindre la salle de musique, guitare sur le dos, je décide de faire un tour par le tableau d'affichage, histoire de voir si j'ai fait du bon boulot et si les potins que j'ai ramenés se retrouvent en tête. Je découvre finalement au dernier moment qu'une jeune femme, probablement une étudiante, n'est pas très loin. Enfin une lueur d'espoir dans notre génération qui se "garnettise" de jour en jour. Justement, cette fille-là m'interpelle. "Excuse moi !" Surpris, je penche la tête en sa direction; elle n'est pas très grande - enfin il faut dire que, avec mon mètre quatre-vingt-huit, je croise rarement du monde plus grand que moi - et a l'air un peu paumée. Une nouvelle, je suppose. "Peux tu m’aider à trouver mon chemin ?"

Visiblement, la salle de musique, ce sera pour plus tard. Tant pis ! J'aime bien le contact avec les gens, après tout. Adeptes des contresens et de l'illogique, allez cordialement vous faire foutre, moi le premier. Naturellement, je lui souris. Pas sûr que ce soit avec elle que je tiendrai le scoop de l'année, mais qu'importe. Comme je l'ai déjà dit, je suis en vacances pour quelques jours. Ouais bien sûr ! Tu cherches quelque chose en particulier ?, je demande d'un air sympa en redressant la sangle de ma housse de guitare sur mon épaule.

Suite à ma question, la jeune femme regarde le papier qu'elle a en main. Elle s'incline alors et me salue d'un "Bonjour." Je réponds en penchant la tête sur le côté et en chuchotant à mon tour un Bonjour, juste histoire de rendre la pareille, puis écoute la question qu'elle a à me poser. "Je cherche les dortoirs et aussi la maison Obsidian" Je souris un peu plus à l'écoute du nom "Obsidian." Finalement, elle est peut être pas si banale que ça. C'est pas n'importe quel plouc innocent qui se retrouve là-bas. T'as intérêt à avoir un passé en béton ou être un gros cas à part pour y être accepté. Alors faudrait peut être que je creuse un peu chez elle. Enfin peut être pas aujourd'hui; je suis en vacances, merde. Enfin on verra, si tous ses secrets me sont directement servis sur un plateau d'argent, je vais pas me gêner pour les lui arracher.

A nouveau elle s'incline, puis enchaine. "Je m'appelle Kim Min-Yeon, je suis nouvelle, enchantée de faire ta connaissance." Kim Min-Yeon ? C'est vachement long pour un prénom, ça. Déjà que je vois des gens galérer à retenir les deux syllabes du mien, avec le sien ça fait beaucoup à garder en mémoire. Mais bon, je vais tâcher de le retenir, histoire de. Bah écoute, enchanté aussi Kim Min-Yeon, moi c'est Owen, je réponds simplement en gardant un sourire. Enfin si ça se trouve, y a son nom de famille dans le lot. Genre si ça se trouve elle s'appelle juste Kim, ou Kim-Min, ou que sais-je. Enfin je sais pas, et au pire, si je me trompe et qu'elle est vexée, elle n'aura qu'à me le dire, mh.

Je regarde autour de moi pour me repérer. Je suis à l'UE depuis trois ou quatre ans, mais j'ai toujours un minimum besoin de regarder où je vais. On se perd vite par ici. Alors alors. Les dortoirs c'est par là, je commence en indiquant un bâtiment, Et le salon Obsidian, c'est juste à côté en fait. C'est aussi simple que ça. Mais bon, quand on est nouveau, ça saute pas forcément direct aux yeux quoi. Du coup, vu que j'ai finalement un peu de temps devant moi, et que j'ai bien envie malgré tout de creuser la nouvelle, je lui propose de faire un tour. Tu veux que je te montre un peu ? En plus t'as l'air chargée, je peux peut-être t'aider à prendre tes valises ?, je demande en levant le menton vers ses bagages. Mon heure de guitare sera pour plus tard du coup, c'est pas un drame.