Journée décompressante. Je n'ai quasiment pas assistée au cours que je devais, j'ai passé le plus clair de mon temps dans la salle de musique ou bien planquée dans un coin de la cour, à fumer au froid. En plus, Ella ne m'a presque pas adressée la parole aujourd'hui. Bref, journée presque parfaite, en somme. Je suis toujours là, hein. Chut, laisse-moi apprécier.

Je grimpe les escaliers quatre à quatre puis pousse la porte de la chambre que je partage avec une certaine Shelby Carcuran. On s'est croisées en coup de vent une ou deux fois mais je ne me rappelle pas lui avoir déjà adressée la parole. Dans la pièce, seules quelques affaires témoignaient de sa présence. Mis à part ça, aucun signe de vie de la brunette. Elle te fuit peut-être. Eh oh, me casse pas les pieds, toi.

Profitant de ma solitude, j'enfile un gilet et ouvre la fenêtre. Et oui, il caille un peu trop sinon. Je glisse une cigarette entre mes lèvres et, me servant de ma main comme coupe-vent, l'allume à l'aide mon briquet. Je tire une taffe et souffle doucement la fumée à l'extérieur. Je l'aime bien, mon briquet. Il a une jolie couleur.

De la fenêtre, on peut apercevoir les lumières de Montréal. Ça aussi, c'est joli. Ça vaut pas ma belle île mais c'est joli. Je remonte le col de mon gilet. Merde, il fait un peu plus froid que je pensais. En cette période de Noël, une couche blanche recouvre presque l'entièreté du sol. La neige, c'est quelque chose que j'ai découvert en arrivant au Canada. Et franchement, ça a beau être magnifique, moi j'aime pas. Il fait froid, t'as les pieds mouillés, ça glisse. T'arrêtes de te plaindre ?

Je n'ai pas eu le temps de répondre à Ella que je suis surprise par le bruit de la porte qui s'ouvre.

Je me retourne à peine. Ça ne pouvait être que Shelby, après tout. Et, étant donné que c'est elle qui arrive après moi, c'est à elle de faire le premier pas et de dire bonjour. Enfin bonsoir. Bref, de me saluer. Tu parles inutilement. On est deux. J'entends vaguement ma colocataire s'affairer derrière moi, elle devait sûrement ranger son bordel. Non mais c'est pas comme si c'était le souk dans la chambre, non plus ! Et même si c'était le cas, je ne pense pas que ce serait sa faute !

Je jette un coup d’œil à mon lit et ses alentours. Des vêtements, une couverture en vrac, des chaussures un peu partout, des feuilles de cours froissées. Bon. Il se pourrait que je sois en tort. Sur ce coup-là. Seulement sur ce coup-là. Je m'accoude dos à la fenêtre, juste au moment où la brune s'étale dans son lit. Ah, elle m'a peut-être pas vue en fait... Je tourne la tête pour souffler la fumée de ma cigarette dehors. Je ne connais pas assez la demoiselle impolie pour me permettre de faire ça à l'intérieur. En vrai tu t'en fous. Ouais, d'accord, c'est surtout pour les pions, ils emmerdent le monde sinon. C'est pas que j'ai peur des sanctions mais ils causent et épiloguent pendant des heures au lieu d'agir une bonne fois pour toutes.

Soudain, se rendant sans doute compte de ma présence, Shelby se lève et vient vers moi. La brunette se révèle être une petite timide. Son allure peu assurée et son sourire crispée ne pouvaient que confirmer ma pensée. Debout devant moi, elle me lance pourtant un « Salut » enjoué. Timide mais amicale, apparemment. « Hello. » Tu penses qu'elle fume ? Aucune chance, elle ressemble à une sainte nitouche. Une sainte nitouche ne fume pas, voyons. Ne boit pas non plus, ne n*que pas, ne sort pas, ne désobéit pas. Oh, elle a l'air ennuyante. Croisons les doigts pour que je me trompe... « Tu veux ? » Je lui tends la cigarette, coincée entre mon index et mon majeur.